ayamun

CyberRevue de littérature berbère

 17 ème année

Numéro 83  Mai 2016

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  Prénoms algériens authentiques (mis à jour et augmenté)

 

Sommaire :

 

1°) Le texte en prose : Extraits de Tuɣalin_Le retour, nouvelles, Amar Mezdad, 2016

 

2°) L’étude : Dualité de la révolutionnarisation et du changement dans le discours romanesque kabyle à travers la trilogie d’Amar MEZDAD,  par ACHILI Fadila


 3°) L'article : Tamazight, langue des savoirs ancestraux,  in Le Matin,  20 Avril 2016


 4°) L 'interview :  Mouloud Mammeri, ou le courage  lucide d'un  intellectuel  marginalisé,  par Abdelkader  Djeghloul,   « Awal, Cahier d’Etudes berbères » 1990


 5°) La photo  : Mouloud Mammeri et ses élèves ! Photo très rare, Collection privée Dda Moumouh Chami

6°)
Tazmilt ɣer tira : AGGAƔEN

 

 7°) Tidlisin nniḍen, en PDF :

 

 8°) Le poème  :  Mmuteɣ, ur mmuteɣ,  sɣur Sεid At Mεemmer


 

 

 

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Numéro 83 Mai 2016

Le  texte en prose :

1°) Le retour, Amar Mezdad, pages 83-93 :

LE MOINEAU PRIS AU PIEGE

 

– Pour elle, je suis prêt à me ruiner ! Même la maison que m’a laissée mon père, s’il le faut, je  l’abandonnerais.

Cet individu qui parle et que j’écoute en ce moment s’appelle Mouloud Awadi. Très jeunes, nous avons fréquenté la même école et  toujours occupé la même table. Inséparables, on nous prenait souvent pour des frères. Pendant des années, nous avons fait ensemble beaucoup de bêtises.

A l’école, il était excellent ; il était toujours premier et moi je suivais derrière. Parfois, il me laissait passer devant en me concédant un point ou un demi-point. Il n’omettait pas de me dire à l’avance : « Cette fois-ci, ce sera ton tour ! »

J’ai beau me creuser la mémoire, je ne me souviens pas d’une querelle entre nous, comme cela arrive à tous les enfants ! Nous n’avons jamais eu le plus petit désaccord. Nous étions très proches dans l’enfance, mais avec le temps, nos caractères ont divergé quelque peu et les contraintes de la vie nous ont souvent séparés.

 

Le voici aujourd’hui en face de moi, visiblement vieilli, le crâne aussi chauve qu’un terrain de foot-ball d’autrefois. La course de son front rejoint la nuque à l’arrière du cou ; seuls restent, au-dessus des oreilles, quelques cheveux résiduels toujours dans leur couleur noire d’origine.

– Ne crois pas que j’aie perdu mes cheveux à cause de l’âge ! C’est mon cerveau toujours en ébullition qui, un jour, a décidé de faire sauter le couvercle, exactement comme le fait le paysan en sudation quand il enlève son chapeau, ou le Fuji-Yama quand il se réveille.

Le crâne est certes aussi pauvre en cheveux qu’un œuf mais le visage n’affiche pas une seule ride, la peau est lisse comme celle d’un enfant. Je parais beaucoup plus vieux que lui ; on me prend souvent pour son aîné et pourtant nous sommes venus au monde le même mois. Les angoisses font vieillir plus sûrement que les années qui passent.

Mouloud et les soucis n’ont jamais fait bon ménage, il a rompu toute relation avec eux. « Ils ne rôdent pas dans les lieux où je me trouve. Ils ont certainement peur de moi », disait-il.

A la fin de nos études, on nous appela tous pour le service militaire ; lui ne fut pas convoqué. On l’avait oublié ! Il attendit quelque temps, puis il se rendit à la caserne de Blida pour éclaircir sa situation : l’attente et l’incertitude commençaient à l’agacer. On lui demanda de patienter un peu et d’attendre son tour qui viendra sûrement. Quelques jours plus tard, j’étais avec lui quand il reçut sa convocation dans une enveloppe de couleur jaune sable. Avant qu’il ne l’ouvrît, je pensais qu’il allait pâlir, trembler, avoir un peu peur. Non, pas un muscle de son visage ne tressaillit, et le nom inscrit sur l’enveloppe était bien le sien ! Il dit seulement :

– Il ne manquait plus qu’ils ne m’oublient ! Dans une semaine, je serai bidasse ! Je commençais à être fatigué d’écouter mes vieux me relancer sans cesse sur leur obsession de me voir marié. Je te le répète, la semaine prochaine, je serai loin d’ici. J’ai un seul regret : ma bourse d’études en Italie me file sous le nez !

Il ouvrit délicatement l’enveloppe. Il en retira un carton de la même couleur. Surprise ! Il ne s’agissait pas d’une convocation, mais d’une dispense du service militaire en bonne et due forme.

– Ce sont deux années de gagnées ! C’est un don du ciel ! Je serai plus jeune de deux ans ! 

Dès la semaine suivante, il se retrouva en Italie où il passa deux années entières.

Quand je sortis de la caserne, il revenait de ce pays, élégamment habillé. Il était rasé de près comme d’habitude. Une pipe ornait ses lèvres ! Il était au volant d’une superbe voiture, de celles qu’on ne voyait qu’au cinéma.

Mouloud, c’est tout cela : il ne rate pas sa cible, il arrive toujours à tirer son épingle du jeu. « Un ange est toujours à mes côtés prêt à voler à mon secours ! »

Tout petit, sa mère lui aurait concocté un porte-bonheur : elle lui aurait fait manger une patte de chacal, c’est pourquoi il a autant de chance. C’est ce qu’il avait l’habitude de dire.

Nous commencions à collectionner les années et à ne plus être jeunes ; Mouloud, lui, restait vieux garçon. Ses parents ont longtemps essayé de mettre fin à sa vie de célibataire, en vain. Sa mère lui reprochait de vouloir la priver du bonheur d’assister à son mariage et de voir la maison animée de nouveau. « Je risque de mourir et tu n’auras pas eu ma bénédiction ! », se plaignait-elle.

Il lui répondait : « Mon bonheur, c’est de rester libre, aussi libre que l’oiseau dans les airs ! Ni entrave aux pieds, ni charge sur le dos. Toi aussi, de ton côté, il n’y aura personne pour te marcher sur les pieds ! Tu nages en plein bonheur et tu ne t’en rends pas compte ! Eh bien, si tu veux être heureuse, c’est le moment ou jamais, profites-en ! Nous passons nos meilleurs instants, ensemble ! »

Elle le bouda pendant  longtemps.

Ses vieux parents se firent alors une raison et renoncèrent à lui ressasser cette histoire de mariage. Moi-même, j'ai fini par être convaincu qu’il terminera ses jours ainsi.

De temps à autre, un caprice du hasard nous réunissait autour d’un jeu de dames, ou à un méandre de la vie. Il m’arrivait de l’inviter à dîner et il passait une partie de la soirée à s’amuser avec mes « rongeurs » : c’est ainsi qu’il appelait mes enfants ! Nous ne parlions plus de son hypothétique mariage, l’affaire se délayant dans le temps qui passait !

Et voici qu’aujourd’hui il se trouve devant moi, disant :

– Je suis prêt à donner ma vie pour elle !

– Pourtant, tu disais que les femmes, c’est comme les oignons ou les patates, c’est au kilo !

– Mon Dieu, dès que tu entends un mot tu ne le lâches plus ! Tu me rappelles sans cesse cette phrase ! Tu rabâches chaque fois les mêmes mots !

– Raconte-moi donc comment tu t’es fait piéger et engluer comme un vulgaire moineau ? Cette femme ne doit pas être ordinaire ! Qu’a-t-elle de plus que les autres ?

J’espérais lui tirer les vers du nez :

– Un homme qui a passé sa vie à faire souffrir plus d’une fille, sans retenue et sans scrupules, est réduit aujourd’hui à courir derrière un jupon. Tu n’as peut-être aucune chance d’attirer l’attention de celle qui le porte ! Peut-être ne se rend-elle même pas compte de ton existence ! Peut-être n’as-tu pas plus de valeur qu’une mouche à ses yeux ! C’est sûr, cette femme ne doit pas être ordinaire !

Il répéta : « Oui, c’est vrai, je suis prêt à donner ma vie pour elle ! » Puis il se mit à parler d’elle, très vite, sans retenue, ajoutant beaucoup de choses.

Le pauvre, pensais-je, le voilà en plein délire. Ce mal qui le ronge est bien connu. Il l’a pris par surprise et a fini par le neutraliser. Le voici, tel un oiseau figé sous le regard du serpent, les pattes immobiles, inutiles ; il a perdu tous ses moyens.

Il est dangereux d’attraper la rougeole à partir d’un certain âge, quand elle vous a raté dans l’enfance. Elle attaque au plus profond du corps, à l’émergence des nerfs : on risque la paralysie ! La rougeole à un certain âge est plus dangereuse que la peste. Le corps cloué au lit en sort rarement indemne : il sera malmené, érodé, creusé. L’os sera mis à nu ! Bientôt, il faudra dire adieu à la vie. La rougeole tue, à un certain âge ! C’est cocasse, un vieux qui meurt de la rougeole ! Moqueurs, les gens diront de lui : « Il n’a que ce qu’il mérite ! Il n’avait qu’à l’attraper plus tôt ! »

Quand on est jeune, le vent qui souffle efface aussitôt le précédent. La jeunesse est volage, elle oublie vite. Le cœur est souple, ce qui est souple s’étire et ce qui s’étire ne se brise pas. La peau est lisse, ce qui est lisse ne se salit pas et ce qui ne se salit pas peut se vautrer là où bon lui semble, sans vergogne. Le monde appartient à celui qui est sans crainte, celui qui n’a pas de barrières.

La maladie d’amour, à un certain âge, est plus redoutable. On se moque de l’amoureux vieillissant, on le voue aux gémonies, aux feux de l’enfer. Les ricanements augmentent son supplice.

– Les vieux, ce sont les plus vicieux !

– Il est vieux, mais c’est un vieux bouc !

– Que la tombe l’engloutisse, lui et ses obscénités !

– Il a fini par jeter le masque !

– Cette vieille peau est indigne !

– Au bord du tombeau, il rêve de jouissance !

– Au lieu d’aller à la Mecque se laver de ses péchés, il court encore !

Dans la méchanceté, il n’y a pas de limites, les gens ne se gênent pas pour dire n’importe quoi. D’une chose ordinaire, on fait une montagne. Ce qui était propre au départ finit par être avili.

Mouloud n’est pas très vieux, mais il l’est assez pour les travers d’une vie amoureuse qu’il a longtemps méprisée. A la différence des jeunes de son âge, il a passé des années à la fuir. Normalement, il devrait se tenir à cette logique. Il nous a toujours habitués à le voir maître de ses sentiments, la tête dominant le cœur ! Aujourd’hui, il délire et semble bien exalté. Les pattes collées, immobilisées, otages d’une glu aussi élastique que résistante, l’oiseau est cette fois pris au piège. Il n’y a plus d’envol possible. Il reste prisonnier, condamné à épuiser ses forces, ses ailes frappant inutilement dans le vide. En pleine lumière, de sa poitrine chauffée par le doux soleil, le chant continue de fuser mais c’est le chant pathétique de la liberté qui fuit.

Je dis encore :

– Pourquoi dramatiser ? Pourquoi donner ta vie pour elle ? Tu es cinglé ou quoi ? Tu n’as nullement besoin de sacrifier quoi que ce soit ! Tu as toujours dit que les femmes ne coûtent pas cher. Celle-ci aussi te coûtera moins qu’une cannette de bière. La fille est moins précieuse au berger qu’une de ses brebis, n’est-ce-pas ? Tout est simple, demain tu demanderas à ta vieille mère d’aller voir ses parents, et ce sera réglé ! N’aie aucune crainte ! Malgré tous ses ennuis de santé, ta mère s’exécutera, la pauvre, elle se déplacera, même en usant de ses béquilles. Elle verra son rêve de te voir marié enfin exaucé. Les parents de la fille ne causeront aucun souci : ils accepteront volontiers de te donner sa main. Les gendres comme toi ne courent pas les rues ; bien que tu sois plus âgé, les jeunots de maintenant ne font pas le poids devant toi. Avec le mal-vivre, sans travail, sans logement, ils refusent carrément de se marier ! Tu vois, tu dramatises pour rien !

– Tu te goures vraiment ! me répondit-il. Premièrement, je ne suis pas beaucoup plus âgé qu’elle ! Deuxièmement, l’affaire n’est pas simple du tout, elle est bien plus compliquée que tu ne le croies ! Elle est plutôt enchevêtrée !

– Qu’est-ce que tu racontes, quel enchevêtrement ? Toi, mon gars, tu dois me cacher une boulette !

– Elle est mariée ! En plus, elle a des enfants !

– Là, je t’arrête, tu es vraiment siphonné, il n’y a pas à dire. Au lieu de te simplifier la vie, tu te fourres dans toutes sortes de guêpiers ! Tu es fou ! Qu’est-ce qui te prend de t’attaquer à la femme de quelqu’un d’autre, et mère de famille de surcroît ? Ne trouves-tu pas qu’il y a suffisamment de femmes libres ? Ne disais-tu pas que tu pouvais t’en payer dix d’un coup ?

– Je suis peut-être siphonné, mais je ne suis en rien responsable dans cette histoire. Elle m’est tombée dessus par surprise. Tu vois bien, je suis pris au dépourvu ! Fais-moi confiance, je vais tout régler avant que l’affaire ne se corse. C’est la femme qu’il me faut, celle que j’attends depuis longtemps !

Il s’engagea dans un soliloque débridé.

Ce sera elle et non une autre. Sinon, il mourra célibataire ! La première fois qu’il l’a vue, il reçut une flèche en plein cœur qui le bouleversa complètement : il se mit à tituber sur des jambes qui ne voulaient plus le porter. Il fut pris d’un vertige et se retrouva au milieu de vagues en furie, plus terribles que celles d’une mer en février. Les forces de Newton s’étaient emparées d’eux, les projetant l’un vers l’autre : leur volonté n’y était pour rien. Ils n’avaient même pas d’avis à donner. Que valait leur avis devant ces forces en action, devant cette puissance qui leur tombait dessus sans qu’ils n’aient rien demandé ?

D’abord, une chose était certaine et justifiait le reste : elle n’aimait pas son mari, cela se voyait sur son visage ! Elle n’avait qu’à le quitter ! C’est elle que lui, Mouloud, avait attendue toutes ces années. Quand quelqu’un qui quitte son pays abandonnant sa terre à d’autres mains, à son retour, elle lui revient naturellement. Qu’on refuse de la lui rendre et il la reprendra quel qu’en soit le prix, sans nul doute ! Lorsqu’elle quittera son mari, Mouloud lui ouvrira toutes grandes les portes de sa maison. Avec lui, elle sera heureuse ; leur vie sera telle qu’ils l’auront toujours rêvée : comme après une longue absence, ils se retrouveront, enfin ! Ils s’aimeront d’un amour vrai, sans faux-semblants ! Ses enfants, eh bien, ce seront toujours ses enfants, tout le temps ! Elle pourra les ramener avec elle ou les laisser à leur père, selon leur choix ! Non, il ne les rendra pas orphelins.

Cette femme lui était destinée dès sa naissance mais les hasards de la vie ont fait qu’ils ne s’étaient pas rencontrés plus tôt ; maintenant, c’est chose faite et il ne la laissera pas s’en aller. Sa bonne étoile ne repassera pas ; cette fois, il tient à la saisir.

– Il n’y a pas de honte à saisir sa chance ! Le crime, c’est de me voiler la face en la laissant avec un autre ! La honte, c’est de fuir en l’abandonnant dans sa détresse.

A présent, je suis de plus en plus convaincu que mon pauvre ami n’a plus toute sa raison ! Lui, qui a toujours gardé la tête froide en toute circonstance, est en train de raconter n’importe quoi. Lui, l’ami généreux, qui a toujours été maître de sa volonté, cherche à détruire la vie d’une femme qu’il ne connaît même pas.

De cette histoire, il ne sortira rien de bon, il en résultera des blessures qui ne guériront pas. En attaquant la structure principale, mon vieil ami détruira tout un édifice : il bouleversera des existences, fera souffrir des enfants et des parents qui ne lui ont fait aucun mal. Le sang pourra couler, et le sien en premier ! Des gens pleureront, d’autres en riront !

2°) Tuɣalin, Σmar Mezdad, isebtaren 83-93 :

AM UƐEZZI  DEG ADDAD

            – Kra din ad t-senzeɣ fell-as  alamma  yenger wayla-w !  Ula  d tazeqqa-nni  i yi-d-yeǧǧa  baba, ad ţ-sedduɣ, ma tlaq !

            Amdan-a yeţmeslayen  nekk  aql-i smuzguteɣ-as, d Lmulud Awaḍi. Akken  i  d-nekker,  segmi  nella neqqar. Aṭas medden  ţɣillin-aɣ  d atmaten. Nezga neddukul, ama deg ubraḥ ama  deg ubrid.  Ɣugens daɣen akken i  neţɣimi.  Asmi  nmed  cwiṭ  akken  i nxeddem tiwaɣyin.

            Di tɣuri yeḥrec mačči d kra. Yezga  d neţa i d amenzu,  nekk  deffir-s, neɣ d tikkwal  am akken yeţaǧǧa-yi zeggireɣ s tneqqiṭ neɣ s uzgen, yerna ad iyi-d-iɛeggen,  yeqqar-iyi : «  Abrid-a, d nnuba-k. »

            Kerzeɣ deg allaɣ armi ɛyiɣ, ur d-ufiɣ xersum yiwen wass ideg nennuɣ, yerna ulac arrac ur neţnaɣ ! Ma  d nekkni d awezɣi amennuɣ gar-aneɣ. Mi meqqerit, yal wa yeεna abrid-is di ddunit. Akken teddukel  temẓi i tebḍa temɣer. Ṭbiɛa teţbeddil.

            Assa atan sdat-i, ikad yedda di leɛmer. Anẓad dayen  ur  as-yezdiɣ  aqerru yuɣalen  d  annar  ideg ţuraren ddabex.  Tawenza-s  tennul  taxjiṭ metwal  amggerḍ.  Nnig  ameẓuɣ,   yeggra-d   cwiṭ ucebbub berrik ariḍa.

            – Ɣur-k  ad tɣileḍ  d temɣer  i  i-yeseɣlin acebbub  :  allaɣ-inu   yezga   yeţfuru   seg tegzi yeggten, yuɣal yekkes i iman-is aɣummu, am  ufellaḥ yečča uɣurar ! Neɣ Fuji-Yama  mi  d-yendekwal !

            Ihi,  ɣas  akka  aqerru-s  tugar-it tmellalt  akken  yegget  fell-as  umzur,  udem-is yezga  leggaɣ,  d  aglim  n  ucawrar  ur   nessin aḥebber. Ad as-tiniḍ s waṭas i  t-ugareɣ,  amzun  d  nekk  i d dadda-s, yerna deg yiwen waggur i nlul. Yak d iɣeblan i  yesiwsiren,  mačči  d  ussan.

            Lmulud, iɣeblan, urǧin i  d-zzin  ɣur-s,  yegzem yid-sen aseɣwen,  anida  yella  ur  d-tezzin.  « Ţaggaden-iyi » i yeqqar.

            Asmi i  d-nfukk  taɣuri,  nekcem  akk  ɣer lɛesker, neţa  ur  d-rrin  ara  ɣur-s,  am akken ţun-t. Iruǧa acu  iruǧa,  yuɣal  yuder  armi  d Leblida, tamsalt-is ad inadi fell-as,  ad  ifakk  uraǧu yemsan. Nnan-as ad yeṣber cwiṭ,  ad  d-rzun ɣur-s. Kra n wussan kan,  ḥedreɣ  mi d-yeṭef  tabraţ  sɣur lɛesker, taɣlaft  d tawraɣt,  tiɣmi  n  yijdi.  Send ad ţ-yeldi, ɣileɣ ad yiwriɣ, ad yexleɛ ; udem-is mačči yergagi,  amzun  mačči  d  isem-is  i  d-yuran sufella. Yini-yak :

            « Ma d   nekk   ara  ţun  !  Dɣa  ddurt  i d-iteddun, ad ţ-id-awiɣ  dihin,  ad nesteɛfu  meqqar cwiṭ deg imɣaren. Nniɣ-ak,  ddurt  i  d-iteddun  ur iyi-d teţaf ara da. Acu i yi-ɣaḍen d  la bourse ɣer Telyan. » 

            Icerreg  taɣlaft-nni  s  uḥader,  yekkes-d seg-s takertunt  d tawraɣt  daɣen  tiɣmi  n  ijdi. Mačči d ancad i t-id-necden, d asuref i s-surfen ameẓlu (*).

            « Sin iseggasen-a, am win ara  ten-yafen ! Ad  asen-geɣ   luleɣ-d  sin   iseggasen  deffir  azemz-inu. »

            Ddurt-nni d-yewwḍen, tufa-t-id di Telyan : yeqqim dinna sin  iseggasen.  Asmi  i  d-ffɣeɣ  si lkazirna, neţa yuɣal-d si Telyan, acu icettiḍen, acu n tumubil  !  Ula  d  asebsi  i  d-ileqqem  i icenfiren-is urǧin i t-walaɣ  di  tmurt-a :  anagar ayen ẓerreɣ di sinima.

            Akka i  d  Lmulud,  anida  i ţ-iger  tuɣ, anida isewweq ad d-yessis.  Iteddu yid-s  lmelk ! Asmi  i  d-ilul  tesečč-as  yemma-s  taqejjirt  n wuccen. Lḥasun akka i yeqqar.

            Ɣas akka  tura ddeqs i nedda di  leɛmer, nesna aṭas iseggasen, neţa  yeqqim  d  ambur.

            Imawlan-is ekkes-d akken ur witen ad yerr axxam,  neţa  yegguma.  Aṭas   i  teqqim   yemma-s   ur   t-tluɣa,   teqqar-as :   « Tɣulleḍ-iyi ad ḥedreɣ i  lferḥ-ik,  ad yacaṛ uxxam skud ddreɣ ! Ma mmuteɣ ur ḥḍireɣ ara i lferḥ-ik, ad tawiḍ deɛwessu ! » Neţa yeqqar-as : «  Lferḥ-iw d wa, mi akka lliɣ d ambur, ulac win  ara d-isuɣen ɣef uqerru-w.  D  ambur,  aql-i  am  lbaz deg igenni. Ulac rrebg, ulac azaglu fell-i. Ma d kemm, ulac tin ara  m-yerren  luḍa  d  asawen,  akken  i m-yehwa i telliḍ. Ihi,  tura  imi ilaq  ad tferḥeḍ ɣas freḥ meqqar, ulac win yellan akka nella  nekkni, di tegniţ-a. »

            Uɣalen imawlan-is armi ursan (*) deg-s,  ur as-d-beddren ara tamsalt-a n teslit ara  d-yacaṛen axxam, dayen uysen. Ula  d   nekk   nniɣ-as, amexluq-a akka ara ikemmel ussan-is, ad yemmet d ambur.

            Sya  ɣer  da,  neţemlili ɣer tiddas, ama d tid n wurar ama d tid n  ddunit. D tikkwal, yeţas-d s axxam  s  imensi,  yeţurar cwiṭ d imumaden-iw : akka i sen-yeqqar i warrac !  Ma d tamsalt-a n  jjwaǧ,  dayen  ur  ţ-id-nbedder  ara,  amzun  tefra   dayen,  tedda   d iseggasen izerrin !

            Tura atan sdat-i, la yi-d-yeqqar :

            – Nniɣ-ak, aqerru-w ad t-senzeɣ fell-as ! 

            – Yak  teqqareḍ,   tisednan   am   tbeṣlin   neɣ tibaṭatatin, mraw s tḍellaɛt !

            – Kečč anagar aya i d-tesmektayeḍ ! Teţaṭafeḍ awal deg ucebbub ! A baba-Rebbi, mi tesliḍ i kra  ur as-tberruḍ !

            – I  mer  ad  iyi-d-teḥkuḍ   meqqar   amek teţwaṭfeḍ  akka,  am  uɛezzi  deg addad ?  Ɛni tamexluqt-a ur d tameṭut n menwala, acu akka tla nniḍen ?

            Ḍemɛeɣ ad t-id-seɣliɣ deg awal. Amek  argaz am wa yefkan tawaɣit  i  tlawin,  ulac  tuggdi  ama deg udem n Rebbi ama deg udem n umdan, atan  assa la yeţazzal  deffir  ijufaṛ,  yerna  wissen  ma  d-zzin ɣur-s, yerna wissen lall-nsen  ma ad t-twali  neɣ  d izi sdat wallen-is. D ayen ikaden, tameṭut-a  ur d tin n menwala.

            Atan di tawla meskin, ikad acu-t waṭan i t-yuɣen ; imi ur yebna  fell-as  atan yurez-it, ambiwel ulac, am ugdiḍ yesakked uzrem, neɣ win  yeṭef  waddad di tqejjirin.  Tewɛer  tbuzeggaɣt  di temɣer ma tezgel bab-is  di  temẓi ;  tekkat  amdan ɣer ugensu n yiɣes anida yeţili wafud :  tanekkra  d ayen ulac. Tabuzeggaɣt di  temɣer  tugar  ţerka. Win tennul dayen ur iteddu ɣef uḍar, ad yefk idis i wussu. Ad yeţnunnut, ad itezzi,  ad  yeqqaz,  alamma tewweḍ tfidi s  iɣes,  beqqa-ɛla-xir  a tudert,  d lawan n yinig  ad  nuɣal. Tneqq tbuzeggaɣt  di  temɣer !

            Yerna, amɣar tenɣa tbuzeggaɣt yeţaǧǧa-d, a medden, taḍsa, mačči aṭas i  yeţɣidi. Amɣar tenɣa tbuzeggaɣt, anagar win ara s-yinin : ccah ! acimi akka ur ţ-yuḍin ara di temẓi  ? Am akken ɣer ufus-is, i ţ-tella !

            Aṭan n tayri deg temɣer, mačči  am win  i t-yeṭfen di temẓi. Temẓi,  d taxeddaɛt  ur  nceffu, aḍu i d-isuḍen yeddem wayeḍ,  tasa  leqqaqet,  ayen leqqaqen yeţnejbad. Ayen  yeţnejbaden  ur  yeţruzu. Udem leggaɣ, ayen leggaɣen ur yeţames,  ayen  ur neţames  anida  i  s-yehwa  ad  yeglilez,  ansi  i s-yehwa ad yekk ur yeţaggad. Ayen ur  neţaggad, ddunit akk d ayla-ines. Wamma  tayri  di  temɣer, kra ţaḍsan, kra sawaḍen-as times i win  yeţewten, i win i tent-yuɣen.

            – D  imɣaren  i  tent-yesemɣaren.

            – Ccib icab, d ccib  uḥuli.

            – Effer leɛyub, ay  akal.

            – Ziɣ d amɣar bu tecmatin, armi d tura  i  d-yesken  wudem-is.

            – Ɣef imi uẓekka, la yesaram azekka.

            – Mer d lebɣi ad yesikel  ɣer  Mekka,  ad  d-yesired   iɣsan-is,   neţa yeţḍafar ijufaṛ.

            Medden, iles ɣezzif, imi meqqer. Ayen  yellan  d  amecṭuḥ  ad  yuɣal  d aggeεmir, ayen yebdan s tezdeg medden  ţaran-t  d alexxax.

            Lmulud neţa dɣa, mačči d amɣar aciban, acu kan tayri am akken yezri  lawan  ɣur-s,  am akken  yekka-d nnig-s, imi yennuɣ yid-s di temẓi,  imi yegguma-ţ asmi teţazzal fell-as tnudda.  Mer  d lebɣi, tura  ad  yeṭef  kan  di   truka-s,   yak neţa  yesaɣ-aɣ  tannumi  tasa  d  wul-is  yetgelled fell-asen wallaɣ ! Assa,  atan ur  yeẓra  acu i d-yeseftuy, yeţwaṭef d tideţ am uɛezzi   yeṭef   waddad : tiqejjirin ţmantaḍent, ţukeccbent, ţwarzent, addad yeţnejbad, yugar akawaču. Tiferrawin la zzaḍent aḍu,  ifeg  ulac,  d  ameḥbus neţa lhebs-ines d azwu.  Yeţwali  tafugt,  ḥmant tedmarin, tcennu taɣect s  ccna  n  win  ara teǧǧ tlelli.

            Nniɣ-as :

            – Acu i d-yegren aqerru-k ?  Win ara k-d-yeslen ad as-yini amdan-a yečča-ţ umcum di leɛqel-is. Fiḥel ma tesenzeḍ fell-as  kra,  yak  d kečč i yeqqaren tilawin baṭel. Ad  ak-d-tekker  ddaw wazal n tebyirt. Akken teqqareḍ zik,  d tixsi  i  yeɣlayen  ɣer  bab-is, wala taqcict  ɣer baba-s. Azekka ɣef yiman-ik, in-as i temɣart  ad tekker  ad taweḍ  s  imawlan-is.  Ɣas teǧǧa-ţ tgecrirt,  ur  ţaggad,  ad taweḍ  ɣas  ɣef tfednin, aṭas i tesaram ad twali lferḥ-ik, atan dɣa yewweḍ-d wassen. Imawlan n teqcict, ur ţaggad, ad ak-ţ-id-fken s sin ifassen, anida akka  ara  afen adeggal am kečč ?  Taqcict  ɣas tugareḍ-ţ  cwiṭ  di leɛmer,  ur  teţaf  ara   yiwen   akka   am   kečč deg ilmeẓyen n tura. Atenad msakit  ṛwan  axessar, ulac axeddim, ulac tanezduɣt.  Ur  la jewǧen  ara maḍi, akken akk i qqiment tullas, ur teffɣent. Twalaḍ aya  d  ayen  isehlen,  teseɣliḍ-d  fell-ak adrar ɣef ulac !

            – Din i tɣelḍeḍ !  Tamezwarut,  ur  ţ-ugareɣ ara aṭas di leɛmer. Tis snat, tamsalt mačči d awɛar kan i tewɛer, d tiyersi i tekres !

            – Ad aɣ-yemneɛ Rebbi di tyersi ! Acu-t uxessar-a daɣen ara d-tbegseḍ, a winnat  ?

            – Tameṭut tejweǧ, yerna ɣur-s dderga !

            – Ihi ziɣ d tideţ, yefla  uqerru-k ! Yefla-yak ucenfir !  Medden ţnadin talwit, kečč  d tawaɣit iwumi  tesawaleḍ !  Ad iyi-d tiniḍ  acu  ara  k-yawin  ɣer  tmeṭut  n medden, ɣer yemma-s n medden ?  Ɛni  negrent  tidak yellan  i  iman-nsent   ?  Akken  teqqareḍ,  mraw  s tḍellaɛt !

            – Ahat   aqerru-w   d tideţ   yefla,   ma d tawaɣit ur d  nekk   i  ţ-yeţnadin !  D  neţat  i d-yeɣlin fell-i ! Yerna, twalaḍ ur bniɣ ara fell-as  ! Nniɣ-ak tiyersi tekres, acu, zemreɣ ad ţ-fsiɣ.  D  nekk  iwumi  tlaq, d neţat i ţraǧuɣ wicfan aya.

            Yedda deg umeslay. Ma mačči d neţat,  akka ara yemmet d  ambur.  D ta  kan  i  s-ilaqen.  Mi ţ-iwala  amzun  d  iggig  i  s-ineqren  tasa,  ul-is yennegdam, iḍarren-is mḍerkalen, allaɣ-is yurew-d tiṭangiwin, yugar illel deg furar. Mi ţ-iwala, iɣallen n Newton ddmen-ten deg sin yid-sen : am  neţa,  am  neţat, lebɣi-nsen ur ten-id-isawem. Mačči ɣur-sen i ţ-tella, ur ksanen ara, acu iwumi  yezmer lebɣi sdat  iɣallen n le magnétisme i d-yeɣlin fell-asen, yerna ur nudan fell-as ?

            Akken  yeţwali,  ur  tḥemmel  ara argaz-is, d ayen ikaden ɣef udem-is. Imi akka, ɣas ad t-teǧǧ kan !  Lmulud, d neţat i yeţraǧu  d  iseggasen aya.  Am  bab  n tferka iɣaben, ɣas iɣab yiwen wass ad  d-yuɣal. Mi d-yuɣal, taferka megglen wiyaḍ ilaq ad ţ-ǧǧen, ma ur ţ-ǧǧan ara, neţat ad ten-teǧǧ !  Ma  teǧǧa  argaz-is, neţa  Lmulud Awaḍi,   ad   as-yeldi   tawwurt   n uxxam-is. Akken i s-yehwa ara tili.  Tudert-nsen ad tuɣal d targit, ad myafen, ad myeḥmalen, tayri n tideţ, mačči d tin ukellex. Ma d arraw-is, assa, azekka, d arraw-is !  Ma yehwa-yas ad ten-id-tawi  yid-s, ma  yehwa-yas  ad ten-teǧǧ  i  babat-sen.  Mačči  d asgujel ara ten-yesgujel, ma  d tameṭut  d  neţa iwumi  tura   asmi  i  d-lulen.  Tirwas  n ddunit ur  bɣant  ara  ad  mlilen zik,  assa  imi  i ţ-iwala d ayen ur as-yeţserriḥ ara.  D  zzher-is  i d-inudan  assa,   ma   yeǧǧa-t   yennser,   dayen   ur d-yeţuɣal.

            – Ulac ddnub  yellan,  ulac  lɛib ! Ddnub  ma segneɣ iman-iw,  ggiɣ-ţ  i  wayeḍ.  Lɛib,  ma  rewleɣ fell-as !

            Ameddakel-iw meskin, d tideţ  uggaɣ  yeţwaɣ. Neţa yezgan iga aleggam  i  wafrayen,  tura  atan  la yeseftuy awal d aɛrab, awal d aqbayli. Neţa yezgan iga aleggam i lebɣi-s, yerked wul-is, tura atan yeţnadi ad yerwi tamduct n tmeṭut ur ţ-yessin, ur t-tessin.

            Ad as-d-yeglu s wayen n diri,  ahat  d  afeddix  ur neţejji. Ad yeseɣli axxam yulin, ad yerẓ tajegdit  i tzeqqa  ibedden.  Ad yesegriwel  tasa  n  tarwa  d imawlan, yerna ur as-xdimen kra. Yezmer ad  yesizzel idammen, ad mmiren wid-is ahat d imenza.  Ad ţrun medden, ad ḍsen wiyaḍ. Ma d wa i d lferḥ i teţraǧu yemma-s,  a ur  d-yaweḍ,  d  ussan  i  s-d-yeggran meskint ara yesibrek.  Tamɣart, ayen tesaram taggara ad as-yuɣal d ilili. D leɛmer-is  ara  yesiwzel.

            Nniɣ-as :

            – A Lmulud, self i wudem-ik, uggaɣ  mačči  d fellu kan i yefla uqerru-k, d tazemmurt i  d-yemɣin deg-s. Ma d urar i tebɣiḍ ad turareḍ mačči s ti, ma d  uzuf,  anida  teddiḍ  yella.  Eǧǧ  medden   di lhemm-nsen,  kečč  ru   lhemm  i  lhemm-ik.   Efru-tent fell-ak, mačči d tiwaɣyin nniḍen ara d-tagmeḍ.  D argaz i telliḍ mačči d bu rebεa  iḍarren ! Urǧin teţekkiḍ  deg ayen  n  diri, mačči tura ara tebduḍ tiwaɣyin !  Kečč, ziɛma kra din tgiḍ-as aleggam, allaɣ yeddeb agerbuz, assa teɣliḍ deg ayen ur iqebbel leɛqel !

            Yerra-yi-d :

            – A  ur  neţekki  deg ayen  n  diri,  ad  aɣ-yemneɛ Rebbi !  Nekk   tibṣelt  ur  zmireɣ  ara ad ţ-id-qelɛeɣ ma ur as-yehwa ara. Izi ur zmireɣ  ad t-nɣeɣ ! Tura  aql-ak  teseɣliḍ-d  igenni : idammen, ad  ţrun  medden, ad  ḍsen  wiyaḍ ! Uggaɣ mačči di ddunit i telliḍ ! A tbeddel ddunit ɣur-k ad tɣileḍ, aql-aɣ di lqern wis 20. Medden  d lehna i ţnadin,  mačči  d  addari  kan  i  bɣan  ad ddarin. Tudert mi tezri dayen ur d-teţuɣal !  Ma mlalen sin ur d-myezgen ara, yif-it meqqar ma bḍan. Acimi ara mzukraren sin am izamaren  s agezzar, ma ur msebɣan ara ? Nniɣ-ak, tameṭut-a teṛwa tawaɣit, neţat d urgaz-is ur d-myezgen ara. Yiwen  deg-sen ur yufa iman-is. Yal  ass  d  amennuɣ,  yeseṛwa-yas tiɣrit d imeṭawen ! Neţat daɣen, ayen iwumi  tezmer ur as-tcuḥ ara.  Segmi  mlalen, anagar tiberkanin. Ahat mara bḍun, ad d-teɣli fell-asen talwit. Asmi ara  bḍun,   nekk   ad ţ-rreɣ,  ad ţ-aɣeɣ ! Ad terbeḥ, ad yerbeḥ urgaz-is mara  s-yebru !  Ad rebḥen warraw-nsen, ad ifakk fell-asen  ṭrad.   Nekk  daɣen ad afeɣ iman-iw, imi d neţat i ţraǧuɣ !

            Amdan-a,  ulac  taduli  ur   ijebbed   ɣer tama-s.  D  amcic  i  d-iɣellin  seg uneggaru  igenwan  ur  t-yeţaɣ kra,  yeţaf-d  iman-is  ɣef iḍarren-is. D islem yeswan tamda ur yendim.

            Yeţkel di lḥeq-is i yella, ur yennul  aɛwin n yiwen, ur yekcim taferka ma tinna ɣur-s imawlan.

 

 

 

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Numéro 83 Mai 2016

L’ étude :

 

Dualité de la révolutionnarisation et du changement Dans le discours romanesque kabyle à travers la trilogie d’Amar MEZDAD

 

ACHILI Fadila

Université de Tizi-Ouzou

 

 

 

 

A travers ses différents modes opératoires, la littérature représente un miroir social char de sens et d’indices inhomogènes et dissemblables complexes, inclus dans des systèmes sociaux qui affichent la même complexité.

 

Dans cette approche, nous tenterons de mettre en exergue une expérience particulière dans la composition littéraire kabyle. Ce faisant, notre objectif n’est pas de monter une quelconque évolution historique, car notre intérêt premier va vers l’analyse des structures de ces textes dans leur interaction avec les cadres sémiotiques théoriques mis en place par A. J. Greimas, qui ont imposé une hégémonie sur les études littéraires modernes. Notre choix théorique portera donc en premier lieu sur l’analyse du discours.

 

C’est en effectuant une immersion dans les profondeurs du discours que nous serons en mesure de clarifier son sens voilé, à condition de passer par les canismes de la sémiotique qui ont pour but de sonder le mécanisme constructif pour y déceler les contextes manquants. Cette démarche a pour visée de parvenir à souligner les structures axiales profondes que comportent les romans étudiés, en faisant éclater l’ensemble des rapports qui régissent les structures du discours romanesque, loin du sens impressionniste qui ne remplit plus de fonction.

 

 

Dans son indication sémantique, le caractère du vocable est considé comme l’un des caractères de la sphère des signes qui présente l’aspect de la structure synthétique du vocable et ses dérivés, comme les indices et les signes sémiotiques, s’intégrant à leur tour pour canaliser les éléments qui composent la structure verbale, vu que le vocable isolé est nécessairement doté d’un sens conceptuellement indépendant, de façon à ce que sa compréhension ne soit pas tributaire d’un autre vocable, ou ne l’est pas.

 

Nous examinerons également les codes du vocable indicatif afin de souligner le contexte sémantique ba sur la structure du vocable expressif, ainsi que les rapports entre les significations, observer les associations séquentielles, et saisir le sens dissimulé dans le dynamisme infini du signe.

 

La naissance du roman d’expression kabyle est associée à la réalité kabyle issue du Printemps berbère de 1980. En effet, son apparition est allée de pair avec lémergence d’écrivains et d’hommes de lettres dont la production s’est articulée autour de la société et de la nécessaire clarification des éléments fondamentaux qui régissent ses rapports, ses mutations et ses perspectives.

 

En dépit d’une divergence dans les contenus et d’une diversité dans les points de vue exprimés vis-à-vis de la réalité, les romans apparus à la fin du deuxième millénaire et au début du troisième sont tous en interaction avec la classe sociale moyenne, en ce sens que le roman ne se borne pas à refléter la réalité et l’imaginaire de cette classe, mais se revendique dêtre un produit de ses idéologies. Les écrivains ont transcrit sa réalité

matérielle et ses pratiques sociales dans le flux de sa quête d’un sens à son existence, ses préoccupations, sa condition et sa vie.

 

S’appuyant sur une évaluation représentative de la alité objective et des forces sociales existantes, on s’attendait à l’émergence d’une littérature au modèle occidental dans sa forme et ses portées, sous réserve des dissemblances entre les deux réalités kabyle et occidentale, dans leur aspect historique et culturel notamment.

 

Lécriture romanesque est un art qui connait ses origines dans le monde occidental. En partant de là, il ny a aucun embarras à ce qu’elle soit redevable au roman universel de sa prépondérance en matière dinnovation artistique dans cette production narrative. Dans la socté bourgeoise européenne, le roman était considé comme la forme littéraire la plus indicative. Elle nous est parvenue par le biais de vecteurs culturels divers, tels que la presse, la création décoles, d’instituts et d’universités qui ont tracé aux écrivains et romanciers la voie de l’imagination créative romanesque et l’instauration d’une littérature qui se revendique de ce nouveau genre.

 

Le roman kabyle est le produit d’une contigüité avec l’Occident, et le résultat d’une ouverture sur la littérature à travers la langue, la pensée et la pratique. Son apparition est venue optimiser une expression sincère de la réalité sociale et de la vie réelle en partant de la catégorie sociale qui lui a fourni une matière et lui a permis de révéler sa alité, chargée de souffrances matérielles et morales. Cette forme d’expression intellectuelle est connexe au milieu social et à la vision esthétique émergente.

 

L’ouverture à la littérature occidentale constitue lun des facteurs qui ont contrib à l’élaboration du projet d’écriture

romanesque kabyle, parallèlement aux facteurs subjectifs et objectifs qui ont joué un rôle ostensible dans l’apparition de ce genre littéraire.

 

Partant de ses conditions historiques objectives et subjectives, la sphère de la cativité kabyle na pas connu une densité cative, en raison d’une déficience en traditions critiques sur lesquelles elle aurait pu sappuyer dans le domaine de la critique romanesque. En dautres termes, elle peine à accéder aux sciences modernes, avec leur complémentarité, et à une interaction effective dans le domaine du savoir. Il lui aurait fallu donc prendre dès le départ une direction singulière, comme si ce roman se devait de s’auto-cer, de manière tacite et hésitante, par une théorie qui lui serait spécifique, issue de son propre parcours et de ses propres interrogations, loin des considérations esthétiques qui lui sont quasiment étrangères. Pour ces raisons, la critique romanesque étale dans la réalité culturelle kabyle une spécificité qui est amputée au fait quelle s’occupe d’un genre littéraire qui ne s’est pas imposé dans le domaine de la créativité ; la spécificité de la critique romanesque étant basée sur cet élément.

 

La trilogie romanesque dAmar MEZDAD constitue le socle de l’écriture romanesque kabyle qui a occupé une part ostentatoire dans la production littéraire kabyle pendant les années 1990 et le début du vingt-et-unième siècle ; cette phase est un repère temporel important pour marquer la genèse de cette écriture.

 

Cette trilogie, « Iḍ d-wass », « Tagrest urɣu» et « Ass nni » est apparue dans un intervalle de temps qui constitue un prélude, non seulement au niveau des événements liés aux activités du mouvement berbère, mais de limpact sensible quelle a produit  sur la politique et la culture nationales. Ces ouvrages sont venus alimenter un nouveau courant littéraire en gestation, principalement caracrisé par son aspiration avant-gardiste, qui veut s’exprimer par une transcendance dans ses connotations sémantiques au niveau de l’approche, de la connaissance et de la pratique.

 

Comparée à une constellation de productions romanesques qui ont émer pendant cette période, cette trilogie nest pas exempte de qualités intéressantes, en ce sens qu’elle aspire à réaliser cette transcendance à travers une quête de formes innovantes et de nouvelles méthodes d’expression romanesque.

 

Les romans ont pour vocation de mettre en évidence les aspects de volutionnarisation et de changement attelés à la vie sociale et politique davant et après l’indépendance. Ces aspects ont é largement investis par le romancier kabyle Amar MEZDAD dans ses textes, cités plus haut. En effet, l’auteur a relaté la problématique de la violence et ses répercussions sur le mode vie sociopolitique. Partant du principe que le discours littéraire se construit autour de la production et de la reproduction des éléments dominants dans la vie sociale et politique, la trilogie est venue offrir un observatoire de la réalité de la révolutionnarisation, qui se confronte à l’autorité et à la tyrannie ; et cest laspect général qui singularise le discours dans les textes cités. Les horizons du discours romanesques ne se limitent pas à pénétrer la réalité politique et sociale mais vont au-de pour y porter un regard critique. La croissante prise de conscience des personnages dominants dans les textes, fait naître un ressentiment à l’encontre du pouvoir et de tous ses acteurs, au point de focaliser l’inrêt sur ce pourvoir en tant que source de rejet et de cusation. Tous les attributs accordés par l’auteur aux sujets actifs dans la trilogie convergent vers un thème central qui est la révolutionnarisation ; celle-ci est réductrice de tous les rôles thématiques des personnages. Cette révolutionnarisation est un déni de l’ordre établi et un rejet de tout ce qui lui est tributaire, et cest une marque apposée par l’auteur à l’entité sémantique des personnages prépondérants dans le texte.

 

Au début de la trame narrative, les sujets semblent liés à des objets de valeur. Si l’on s’attèle à déterminer la nature des liens qui connectent les sujets à leurs objets de valeur, on constate que ces sujets sont singuliers dans leur démarche, personnifiés dans leur nature et détachés de leurs objets. Par ailleurs, les structures des objets reflètent un ensemble de sèmes individuels et non matérialisés, qui paraissent détachés des sujets. Une comparaison élémentaire des sèmes générateurs de sujets et de leurs objets nous montre qu’ils ont pour dénominateur commun un sème individuel et disjoncteur, et une opposition matérialisée dans l’unité sémantique.

 

On considère que les valeurs de disjonction et de conjonction comme étant le socle sémantique qui régit le rapport du sujet à son objet.

 

Le sujet/ Mohand Améziane qui sest imposé dans le premier volet de la trilogie d’Amar MEZDAD « I d w-ass » est en conjonction avec l’objet de son désir, qui est de garder sa place au sein de l’usine et affronter à la décision de licenciement prise par la direction de lusine à son encontre. En cherchant à entrer en conjonction avec son objet, ce sujet se retrouve au début du roman  en  état  de  disjonction  qui  le  projette  à  travers  un mécanisme de déni de la valeur de disjonction à provoquer une jonction avec son objet de valeur.

 

Le roman comporte une anti-démarche narrative opposée à la démarche du sujet, à travers laquelle se dégage un anti-sujet, le directeur, qui cherche à compromettre le projet du sujet. La comparaison entre l’anti-sujet et son objet montre clairement qu’ils convergent au niveau de deux sèmes : individuel et disjoncteur, et qu’ils s’opposent sur un sème : personnalisé. Le sujet comporte, sur le plan sémantique, une indication personnalisée, alors que l’objet comprend une indication qui lui est opposée, comme représenté dans le schéma suivant :

 

 

 

 

Individuel fg individuel Personnalisé   VS        non-personnalisé

En jonction avec l’objet  fg en jonction avec le sujet

 

 

Chaque sujet forme une démarche narrative pour entrer en jonction avec son objet. Lanti-sujet cherche à licencier le sujet/ Mohand Améziane de l’usine, au moment où se dernier lui tient tête.

 

Le contenu sémantique corrélatif à la relation du sujet/ Mohand Améziane et l’anti-sujet/ Directeur détient un ensemble de contenus sémantiques correspondant à chaque personnage selon son projet narratif, en ce sens que les unités sémantiques du projet adopté par le sujet/ Mohand Améziane renferment un ensemble de contenus, dont un désir franc d’initier un projet syndicaliste au profit des employés. Et à travers l’institution de leur démarche narrative, ces unités sémantiques ont pour autre finalité  de  révolutionner,  en  exerçant,  par  exemple,  un  acte persuasif sur les employés afin de les inciter à la résistance, à l’endurance, à l’insoumission et au rejet de l’ordre établi. Par ailleurs, l’anti-sujet/ le directeur a un projet autoritaire, d’autant que sa confortable situation est compromise et menacée par la conscience dont fait preuve le sujet/ Mohand Améziane. Lanti- sujet s’oppose à ce qu’une prise de conscience se propage parmi les ouvriers ; ce qui explique son acharnement à mettre un terme au projet du sujet/ Mohand Améziane en tentant de l’éloigner de l’usine. Lanti sujet/ Directeur s’oppose formellement au changement qui porte une atteinte à ses intérêts et annonce la fin de son emprise et de son existence. Donc, c’est dans l’ordre naturel des choses qu’il cherche à maintenir le statu quo sur la situation et garder les ouvriers sous son autorité. Les sèmes suivants sont une réduction des deux projets : le narratif et lanti programme narratif, qu’on résume dans les interactions suivantes :

 

Syndicaliste    VS   autoritaire

 Révolutionnarisation  VS  Tyrannie

 

 

Cette réduction sémique constitue la gle textuelle de base pour organiser la relation conflictuelle entre les deux projets. En effet, le sujet (Mohand Améziane) est en relation antagonique avec l’anti-sujet (le directeur), en raison de l’opposition dans les connotations sémantiques entre leurs projets respectifs. Le sujet tente de défendre, au profit des ouvriers, un projet syndicaliste qui finit par se heurter à l’anti-sujet qui symbolise la tyrannie et l’abus d’autorité. Ainsi, les deux sèmes qui sont réducteurs de ces deux axes sémantiques sont : révolutionnarisation VS tyrannie, et résument le fondement logistique du roman « I d w-ass ».

 

Dans le roman « Tagrest urɣu », les vocables narratifs du projet narratif du sujet/ Salem comportent le me contenu sémantique. Le projet narratif du sujet comporte l’indication de révolution contre un ordre établi et également un désir de changement. Au début de la narration, Salem apparait en état de disjonction de son objet de valeur, qui consiste en la ussite de sa mission de guerre. Ces motifs le conduisent à l’action et à la constitution d’un plan par le biais duquel il veut entrer en jonction avec son objet. Cependant, la transformation de la relation de disjonction entre le sujet et son objet en une relation de conjonction exige de se confronter à l’anti-sujet (l’ennemi), car ce dernier constitue une entrave à sa démarche. Cependant, le déséquilibre entre les sujets conflictuels fait que le sujet/ Salem recoure à la manipulation au lieu de la confrontation. On peut le constater dans la structure fondamentale qui git la relation entre le sujet/ Salem et l’anti sujet/ ennemi. La confrontation entre les deux sujets démontre que le sujet est individuel dans sa démarche, alors que l’anti-sujet possède un sème collectif.

 

La lecture poussée des programmes narratifs inclus dans le roman « Tagrest urɣu » permet d’accéder aux relations conflictuelles entre les deux projets. Le plan narratif du sujet/ Salem est un projet à vocation révolutionnaire, dont le but est d’opérer un changement, tandis qu’il rejoint l’anti-programme dans son attribut de guerre et s’en démarque par son aspect colonial dont se sert lennemi pour confirmer et consacrer l’ordre établi. Dans le texte, les unités contenues dans la démarche narrative du sujet/ Salem se croisent avec celles de l’anti-sujet. Ce croisement a produit les oppositions sémiques suivantes :

 

Révolution

VS

Colonisation

Changement

VS

Constance

 

Il en ressort que le sème «projet de guerre» peut être considécomme l’axe sémantique qui intègre deux sèmes : révolutionnaire VS colonial, qui matérialisent la règle logistique fondamentale constituante de l’assise du roman.

 

Dans le roman « Ass nni », une autre situation conflictuelle émerge dans la trilogie au moment le sujet/ Redouane décide de se rebeller contre le pouvoir et l’autorité parentale, pour épouser la doctrine du courant extrémiste. A l’issue de sa décision, une nouvelle relation conflictuelle apparait dans le texte. Livré par les circonstances à la fatalité terroriste, le sujet/ Redouane veut rompre avec sa condition antérieure afin d’aller vers un changement qui donnerait un nouveau sens à sa vie. Dans ce cas, son projet narratif porte une indication de révolution contre un ordre établi, motivé par le désir de changement. Les unités sémiques relatives au projet narratif du sujet comportent une indication de révolutionnarisation. Le sujet œuvre à mettre fin à un ordre établi corrompu et aspire à le troquer contre une société gie par les lois religieuses ( chari’a), convaincu que l’ordre établi est indésirable et impose le changement. L’indication de révolutionnarisation est transmise à travers le virement du sujet vers lextrémisme ; ce dernier indique qu’une bellion contre l’ordre établi est en train de sopérer ; elle se manifeste dans l’opposition du sujet/Redouane à tous ceux qui n’adoptent pas sa doctrine et son rejet de tout ce qui est établi. Sur la base de ces éléments, on peut dire que le projet récitatif du sujet matérialise l’objet du rejet et de la rébellion contre l’autorité établie ; il exprime son ressentiment de manière qui le pousse à adopter un projet narratif qui reflète parfaitement sa révolte contre la situation déplorable et qu’il cherche à changer. Ainsi, on peut réduire sa démarche à deux sèmes qui sont la révolte et le changement.

 

On peut voir dans cet exposé une volonté des sujets textuellement prépondérants à mettre fin à un ordre établi, tout comme leurs projets narratifs sont porteurs d’indications de révolutionnarisation et de sèmes relatifs à la révolution, la rébellion et la lutte. Ces éléments, qui sont des leitmotivs dans tous les projets narratifs contenus dans la trilogie, renvoient vers une indication de présence d’une situation indésirable et d’une démarche pour la changer. Les projets narratifs des sujets convergent tous vers une sphère sémantique unique qui est la révolutionnarisation. Les unités sémiques le mettent ostensiblement en évidence, tout comme elles renvoient indirectement les lecteurs vers le contenu sémantique tacite du discours, en se basant sur la force d’interprétation des vocables narratifs. En établissant une comparaison sommaire entre les projets narratifs mis en œuvre par les sujets, il ressort qu’ils n’ont pas tous établi de conjonction avec leurs objets de valeur et n’ont pas opé le changement escompté. En effet, Salem est tombé au champ de bataille, Mohand Améziane a é licenc et Redouane a é arrêté. Malgré une prise de conscience sur la nécessité d’agir, et en dépit d’une démarche qui consiste à entrer en conjonction avec leurs objets en déniant la valeur de disjonction, les sujets ont échoué. Leurs démarches narratives sont retracées dans le schéma suivant :


 

 

Disjonction g déni de la valeur de disjonction  g disjonction

 

Le schéma met en évidence l’écart entre les sujets et leurs objets de valeur. Cependant, Nicole Everaerd-Desmedt souligne dans Sémiotique du récit que l’absence de jonction des sujets avec leurs objets ne signifie nullement qu’ils n’ont pas accompli leurs plans fondamentaux. En effet, la relation Sujet/ Objet est toujours établie, quelque soit le niveau de disjonction entre ces deux éléments, car cette disjonction est à même de susciter ou d’annoncer une conjonction postérieure.

 

Il ressort que dans ce texte, le discours a é fondé sur deux principes qui sont la révolutionnarisation et le changement.

 

Les indications exploies par l’auteur dans son texte s’incorporent à ces deux concepts. C’est pourquoi, les dictionnaires s’accordent à définir la révolutionnarisation comme un changement fondamental dans l’un des aspects de la vie sociale, intellectuelle ou politique et le rejet de tout ce qui est établi. Cette définition constitue exactement la marque apposée par l’auteur à l’entité sémantique de ses personnages. Quelques soient leurs divergences idéologiques et doctrinales, tous les sujets agissants qui ont initié les transformations narratives dans le texte ont rejeté leur situation et œuvré pour un changement. Les personnages sont donc porteurs dun attribut de révolutionnarisation pour désigner la rébellion contre une situation indésirable. Si on admet que Salem soit convaincu que seule la lutte armée libérera son peuple de l’asservissement colonial, son fils Mohand Améziane voulait susciter une nouvelle approche des relations économiques et sociales prédominantes, opérable uniquement par une révolution qui renverserait l’ordre politique corrompu. Par ailleurs, la rébellion

de Redouane reflète un réel désir de changement qui l’a poussé à intégrer les groupes terroristes et adopter leur idéologie, faisant usage des armes comme moyen de révolte contre l’autorité et le système. Ces personnages actifs ont enduré des conditions négatives qui ont é de puissants catalyseurs pour y mettre fin ; ils ont pour ainsi cer des programmes narratifs pour y parvenir. Pareillement, les contenus sémantiques de ces plans narratifs convergents vers un modèle sémantique unique qu’on peut intégrer dans une forme de discours plus globale qui est la révolutionnarisation, qui représente la forme matérielle et l’aspect tacite de ses indications. De son côté, l’aspect actualisé se révèle à travers un ensemble de parcours figuratifs définis des actes émanant des sujets, qui, rappelons-le, aspirent au changement. Ce qui ressort du texte et s’est actualisé n’est qu’un ensemble de parcours figuratifs qui mettent en évidence les actes des personnages, et constituent ainsi une preuve des valeurs de révolutionnarisation et de changement dans le texte.

 

 

ACHILI Fadila

Université de Tizi-Ouzou

 

  

Bibliographie

 

-         MEZDAD Amar, Iḍ d wass, Ed. Asalu/ Azar, 1990.

-         MEZDAD Amar, Tagrest urɣu, Ed. Ayamun, 2000.

-         MEZDAD Amar, Ass nni, Ed. Ayamun, 2006.

-         Greimas (A. J.), Du Sens II, Edition Seuil, 1983.

-         Greimas (A. J.), Sémantique structurale, Ed. PUF, 1986.

-         Groupe  Dentrevernes,  Analyse  sémiotique  des  textes, PUL, 14ème édition, 1984.

-         Everaert-Desmedt  (Nicole),  Sémiotique  du  récit,  Ed.

Boeck université, Bruxelles, 2007.

 

 

 

 

   

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Numéro 83 Mai 2016

L’article :

Tamazight, langue des savoirs ancestraux

par Correspondance particulière pour Le Matin

Le Matin  du 20 Avril   2016

 

  Rachid-Aliche un des auteurs en langue amazigh

Rachid-Aliche un des auteurs en langue amazigh

 

Dans une conférence donnée le 16 avril a Ottawa au Canada par l’écrivain Aumer U Lamara, sur le thème de "la littérature tamazight, quelles perspectives (tasekla tamazight : anwa i d abrid-is)", il a développé, dans une démarche structurée, le potentiel dont dispose la langue et culture amazigh pour accélérer le mouvement en cours du passage de la littérature essentiellement orale à une littérature écrite.

Au-delà de la présentation (en tamazight) sur le roman amazigh et la nouvelle génération d’écrivains, trois points fondamentaux ont été développés par le conférencier :

1. Tamazight est une langue libre de tout dogme et donc porteuse de potentialités réelles pour son développement. Elle n’a pas subi, dans l’histoire, de contraintes de normalisations sclérosantes par un pouvoir quelconque car elle a toujours été la langue du peuple, hors des cours des différents aguellids. La diversité actuelle des parlers doit etre considérée comme une richesse. Aussi, la langue tamazight n’a jamais été un instrument d’une quelconque religion qui l’aurait enfermée dans le sacré et la rigidité paralysante des codes mystiques.

2. Tamazight est "la langue des savoirs ancestraux" de l’Afrique du Nord (Tamazgha), la langue des connaissances cumulées depuis des siècles pour la compréhension et l’organisation de l’environnement (cosmologie, flore, faune, droit du sol, droit de l’eau, médecine par les plantes, …).

3. La langue tamazight est l’instrument naturel pour exprimer la perception de l’imaginaire amazigh qui fonde la culture de Tamazgha dans sa diversité (mythes et explications de l’univers, rites ruraux, contes, …). A noter que ce qui est véhiculé par la langue dardja (arabe dialectal) n’est souvent que la traduction fidèle de ce qui dit en tamazight.

Un débat de haut niveau a permis un échange animé sur les différents points présentés par le conférencier et la nouvelle situation après l’officialisation hypothétique de la langue tamazight en Algérie.

Un moment d’espoir en contradiction avec les échos véhiculés par les medias (emprisonnement des militants des droits de l’Homme à Ghardaia, détournement des revenus pétroliers, corruption de grande ampleur, menace d’AQMI et de Daech, …).

Correspondance particulière pour Le Matin

 

 

 

   

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Numéro 83 Mai 2016

 L’ interview :

MOULOUD MAMMERI

OU LE COURAGE LUCIDE D'UN INTELLECTUEL MARGINALISÉ

Abdelkader Djeghloul

 Extrait de « Awal, Cahier d’Etudes berbères » 1990, Spécial

Réalisé en juillet 1987, cet entretien est dans son contenu une sorte de condensé de la démarche intellectuelle de Mouloud Mammeri. Par ses délais particulièrement longs de parution, et le changement même du lieu de parution, il illustre bien les obstacles auxquels Mouloud Mammeri a été confronté tout au long de sa vie pour pouvoir s'adresser | à son «public naturel», le public algérien pour qui il écrivait, pour. Lequel il luttait au nom d'une conception de la libération de l'homme qui faisait sourire de manière narquoise ou frémir de colère les intellectuels fonctionnaires, gardiens du discours officiel dont il a tenté avec une ténacité exemplaire et une sérénité à toute épreuve de dissoudre les tabous et de déconstruire les catégories pour faire émerger la voix profonde du peuple algérien et plus généralement maghrébin.

Initialement j'avais programmé cet entretien dans le cadre d'une série de dossiers consacrés aux grandes figures de la culture algérienne. Il devait paraître dans les éditions d'Actualité   de l'émigration dont j'étais à l'époque coordonnateur de la rédaction. Il était heureux de s'adresser au public algérien. Le fait d'être à la retraite lui avait donné une seconde jeunesse. II avait accepté avec étonnement et enthousiasme le principe d'un entretien qui ne serait pas une simple interview mais un dialogue vif, parfois contradictoire. D'un commun accord, le rôle qui m'était assigné était de le pousser dans «ses derniers retranchements». Sa seule exigence fut de me demander d'arrêter le magnétophone dans les moments où la conversation prenait un tour qui l'impliquait de manière trop personnelle. Nous n'étions pas amis, mais une complicité intellectuelle née à la fin des années soixante-dix nous unissait. Nous avions tous les deux faits le choix difficile et périlleux de travailler dans «l'institution» pour faire «ce quelque chose» que l'«institution» ne nous demandait pas à coup sûr : contribuer à une libération de la parole, à une critique du langage du pouvoir, à un dévoilement des aspects occultés de notre société. Les conditions de la confiance étaient remplies, et c'est dans un climat détendu, jubilatoire parfois, que s'est déroulé l'entretien.

Pour des raisons indépendantes de ma volonté, la publication du dossier Mammeri fut reportée sine die. Quand je l'en ai informé, Mouloud Mammeri m'a regardé avec un sourire triste et ironique qui signifiait sans doute «Tu vois bien...»

Et puis les mois ont passé. Le choc d'octobre a eu lieu et j'ai quitté l'institution. La mort a emporté Mouloud Mammeri. En mars 1989, Actualité de l'émigration a publié une version condensée de notre entretien... Grâce à la revue Awai dont il était le directeur il paraît en entier dans ce numéro. Contre «l'institution» et contre la mort, la parole vivante de Mouloud Mammeri a fini par gagner.

Plus de deux ans après la réalisation de cet entretien, sa parole ne s'est en rien affadie, elle a plutôt gagné en acuité. Les modifications qui ont affecté le champ politique depuis la semaine sanglante d'octobre 1988 ne peuvent se transformer en véritable mutation démocratique que si les questions posées par Mouloud Mammeri sont réglées au fond. Par-delà la reconnaissance formelle du socle culturel amazigh, comment la .société et l'Etat peuvent-ils mettre en place une expression culturelle multiforme qui, seule, peut nourrir un pluralisme politique qui risque de dériver en électoralisme mesquin ? Comment le mot démocratie pourrait-il avoir un sens si les intellectuels producteurs de sens continuent à avoir un accès strictement limité et contrôlé à leur public naturel ? Comment la société algérienne peut-elle se réconcilier avec elle-même et s'insérer de manière créative dans la civilisation mondiale si le faux clivage arabophones-berbérophones est maintenu, si un arabo-islamisme à prétention totalitaire continue à refouler ou à folkloriser la culture berbère et si les défenseurs de la berbérité transforment cette dernière en ghetto culturel ou en fonds de commerce électoral ? Comment reprendre enfin le mouvement de libération de la société algérienne non pas sur la base d'une tolérance syncrétique mais d'un dialogue fécond et sans complaisance entre tous les courants d'idées et les référents culturels qui travaillent notre société ?

Telles sont certaines des questions que pose sans esprit polémique mais de manière tranchante Mouloud Mammeri. S'il ne répond à toutes de manière complète, il dresse un état des lieux et dégage des pistes de réflexion et de recherche stimulantes qui contribue à faire sortir la pensée algérienne des sentiers battus des discours a-critiques. Même mort, par la vigueur sereine de sa pensée critique, Mouloud Mammeri reste parmi nous beaucoup plus vivant que les «scribes» d'hier et d'aujourd'hui qui entendent maintenir l'ère du bâillon, l'ère des discours mystificateurs et pétrifiés.

 

Abdeikader Djeghloul. — Laphomic a publié il y a quelques temps un entretien réalisé par Tahar Djaout[1] qui porte essentiellement sur ton œuvre romanesque et théâtrale. Mais tu es aussi linguiste et anthropologue. Comment situes-tu ton activité littéraire dans l'ensemble de ton travail intellectuel ?

Mouloud Mammeri. — Je répondrai comme ça tout de go que la littérature, indépendamment des éléments personnels qui peuvent intervenir, va peut-être plus au fond des choses, va peut-être plus à la réalité des choses que d'autres disciplines qui peuvent viser les mêmes buts, les sciences humaines par exemple, et ceci pour deux raisons. La première est qu'elle n'est pas biaisée. Quand on fait de la science, on est obligé de suivre avec rigueur une certaine méthode alors que la littérature permet une prise sur la réalité infiniment plus étendue, plus vraie. La seconde raison est, qu'à mon avis, l'aspect création est une chose fondamentale ; on ne crée pas à partir de zéro bien sûr, on crée à partir de la réalité qui existe, mais je crois que la fonction démiurgique de la littérature double la réalité de quelque chose que l'on crée. A mon avis c'est au moins aussi important que d'essayer d'expliquer la réalité ou du moins, en quelque sorte de la rendre sans rien y ajouter. Je crois que la littérature ajoute à la science une dimension supplémentaire, une dimension de créativité qui est quand même essentielle.

D.A. — Tu viens de donner ton appréciation sur la littérature. La question que je te posais portait sur l'évaluation de la part de ton écriture littéraire par rapport à l'ensemble des livres et des articles que tu as publiés, des conférences que tu as faites...

A ton avis est-il juste de dire : «Mouloud Mammeri le romancier» ?

M.M. — Je serais très tenté de répondre : c'est à la fois vrai et faux. Ce n'est pas faux, ce n'est pas tellement faux, c'est insuffisant, voilà ! Il est exact que dans mon adolescence j'ai commencé par écrire des romans, mais je considère que mon action, mon écriture ultérieure comptent aussi sur un autre registre. Existentiellement, le passage d'un registre à un autre m'a permis de m'exprimer ou d'exprimer un certain nombre de choses. Ces deux registres ne sont pas exclusifs l'un de l'autre. Au contraire, chacun d'eux complète l'autre. Disons que si on me définissait uniquement comme romancier, je trouverais ça un peu réducteur.

D.A. — Un peu réducteur... ou beaucoup réducteur ?

M.M. — Je ne sais pas si c'est une question de dosage...

D.A. — Je répète ma question : Quelle est la place de la littérature dans l'ensemble de ton œuvre écrite ?

M.M. — Je ne peux pas dire qu'elle soit secondaire...Je la considère comme importante dans l'ensemble de mon œuvre y compris celle qui intéresse la linguistique ou l'anthropologie. J'ai commencé par la littérature et je suis resté fidèle à l'expression romanesque et théâtrale puisque mon dernier roman date de trois ou quatre ans[2]. Je ne suis venu à la linguistique et à l'anthropologie que tardivement. Même si je faisais de la linguistique dès le départ, je le faisais de manière artisanal et pour l'amour de l'art A partir d'un moment j'ai «pigé» qu'il y avait d'autres modes d'expression, en particulier l'anthropologie et la linguistique et qu'ils n'étaient pas contradictoires avec le premier. Je considère que c'est vraiment un peu la même chose, une autre façon de dire les mêmes choses.

D.A. — De dire quoi ?

M.M. — Bon, alors là on peut rester jusqu'à demain matin !

D.A. — Que tu écrives sur le mode de la littérature ou sur celui des sciences humaines, au fond qu'est-ce que tu veux dire ?

M.M. — Bien. Je vais le dire comme je le pense. Personnellement, à la fois par tempérament et par principe, je considère que le but de l'écriture, quel que soit son registre, est une espèce de libération de l'homme. Plus on avance dans l'histoire moderne plus l'homme est soumis à des projets qui le limitent, qui quelquefois le briment carrément. Il suffit de lire un journal pour s'en convaincre. Les exemples sont tellement nombreux et tellement offusquants qu'il n'est pas nécessaire d'épiloguer là dessus. Alors, si pour des raisons objectives l'évolution du monde moderne va dans ce sens-là, la première visée des gens qui écrivent, ou du moins de certains, serait d'annoncer une espèce de contrepoids à ce fardeau de servitude qui en définitive a pour but de nous contraindre. A notre époque, c'est une action absolument essentielle car les techniques de l'aliénation sont tellement efficaces qu'on peut imposer aux gens n'importe quoi sur le plan physique mais aussi mental. Il faut que quelques personnes amènent un contrepoids à cette entreprise qui est absolument démente. Dans ces conditions, les deux modes d'expression que sont la littérature et les sciences humaines (la linguistique et l'anthropologie en l'occurrence) vont à mon avis dans le même sens. Les méthodes peuvent être différentes, mais je crois que l'impact est le même.

D.A. — Merci d'avoir été clair sur ce point. Cela nous amène à une autre question : comment te situes-tu dans le champ de la littérature et dans celui des sciences humaines ?

M.M. — On décompose...

D.A. — D'accord, alors première question : quelle est ta place dans le tryptique Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine.

M.M. — Ah !

D.A. — Dans ce tryptique tu te vois comment et comment vois-tu les autres ?

M.M. — Je me demande si la question se pose dans ces termes-là. Je vais essaye.' de dire pourquoi. Quand nous avons commencé à écrire au début des années cinquante, je ne connaissais pas Dib pas plus d'ailleurs que Kateb qui est venu plus tard. Mais les conditions objectives dans lesquelles nous avons écrit étaient fondamentalement les mêmes. Nous vivions dans une Algérie qui avait le visage qu'elle avait sous la colonisation qui à cette époque-là n'avait pas du tout cette mauvaise conscience qu'elle a acquise par la suite. Elle se considérait comme installée. Nous, Algériens, nous étions dedans et nous avons réagi... nous avons été la voix de ceux qui subissaient cette colonisation. Je ne crois pas que l'œuvre de mes confrères ou la mienne se limite à ce rôle de porte-parole mais je dirais que franchement, il avait une unité de l'homme algérien installé dans cet environnement.

Dans ces conditions et quelle que soit la différence de tempérament d'un écrivain à l'autre, et il est non seulement tout à fait normal mais même souhaitable qu'un écrivain ait un tempérament qui lui soit propre, il n'en reste pas moins que nous avons traduit de façon différente, une réalité algérienne qui était fondamentalement la même.

D.A. — En comptant Mouloud Feraoun[3] comment d'après toi peut-on vous qualifier : vous étiez quatre individus ou un groupe ?

M.M. — II est difficile de répondre de manière tranchée. Il est vrai que nous avons été quatre individus. Au départ, nous ne nous connaissions pas entre nous pour constituer un groupe formel.

D.A. — Mais maintenant, on vous présente comme un groupe... là est le problème...

M.M. — Exactement... Le fait de nous présenter comme un groupe à l'heure actuelle vient du fait que nous vivions dans le même environnement par la force des choses et de nombreux facteurs ont fait sinon notre unité, du moins notre communauté. Il est normal, trois décennies après, dans une espèce de troisième dimension rétrospective que l'on présente les quatre écrivains du début comme un groupe, bien que nous-mêmes n'avions jamais voulu faire un groupe à l'instar de l'Ecole d'Alger[4]. Il n'en reste pas moins que les facteurs qui nous rapprochaient étaient tellement nombreux qu'il n'était pas nécessaire en définitive de constituer un groupe formellement organisé pour qu'il y ait une unité.

D.A. — C'était donc une unité de fait. Mais au niveau relationnel, as-tu entretenu des rapports avec Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun ou bien chacun suivait-il son itinéraire sans tellement connaître ses confrères ?

M.M. — Moi, sur le plan personnel, je connais les confrères dont on vient de parler, je connaissais Mouloud Feraoun, mais encore une fois nous n'avons jamais constitué un groupe à la manière dont Robert Randeau ou Jean Amrouche l'ont fait avec des réunions régulières, quelque chose de voulu, d'organisé, de conscient. De plus, avec l'âge, chacun d'entre nous a suivi un itinéraire particulier.

D.A. — Penses-tu que les quatre écrivains du groupe de base ont tous en commun dans leur pratique de l'écriture de contribuer à la libération de l'homme ?

M.M. — Je crois qu'il faudrait peut-être poser la question à chacun des intéressés.

D.A. — Je te demande ton point de vue.

M.M. — Mon point de vue est que cette volonté de libération existe chez nous quatre, avec bien sûr des tempéraments différents, et quelles que soient les différences dans la manière et la méthode que nous utilisons pour la réaliser et en même temps la conceptualiser. A mon avis un écrivain n'est pas un homme politique au premier chef ; il peut se définir comme tel bien sûr, mais la position politico-idéologique qu'il peut avoir est, je crois, je n'ose pas dire quelque chose de subsidiaire... cela peut être quelque chose de fondamental dans la vie d'un écrivain, la traduction d'un projet fondamental qui est, selon moi, beaucoup plus profond.

D.A. — On a parlé jusqu'à présent de ce qu'on appelle les «pères fondateurs » de la littérature algérienne de langue française. Mais quand tu as commencé à écrire dans les années cinquante, il n'y avait pas que des écrivains de langue française, il y avait aussi des écrivains de langue arabe. Les connaissais-tu ?

M.M. — J'avoue que non mais, pour des raisons tellement concrètes, tellement évidentes qu'il n'est peut-être même pas la peine d'insister. J'étais incapable de lire un texte en arabe. Je savais qu'ils existaient. H ne faut pas trop se faire d'illusions sur leur audience dans les années cinquante. Ces écrivains n'étaient connus que d'une frange d'Algériens assez limitée qui avaient pu avoir accès à une expression linguistique assez élaborée en arabe, ce qui n'était pas donné à tout le monde. Beaucoup d'Algériens connaissaient l'existence d’Abderrahmane Djilali ou de Toufik El Madani[5], mais ils ne lisaient pas pour la plupart leurs œuvres. Certaines de leurs idées passaient cependant dans la population par l'intermédiaire des clercs et demi-clercs qui eux pouvaient les lire. Mais eux-mêmes n'étaient pas très nombreux et, de toute façon, ne produisent qu'un effet secondaire.

D.A. — Toi aussi, quand tu as écrit tes premiers romans en français, il n'y avait pas beaucoup d'Algériens capables de les lire. Te posais-tu parfois la question de savoir pour qui tu écrivais ?

M.M. — Oui, absolument et c'était vraiment un problème. Je crois que les gens qui écrivent actuellement ne s'en rendent pas compte. Nous ne pouvions pas éviter ce problème. Il s'est posé à moi comme il s'est posé à mes confrères, à quelques nuances près... J'écrivais dans une langue qui était le français, donc je savais d'avance que le lecteur éventuel - serait majoritairement français et non pas algérien.

Ceci dit, à partir du moment où j'ai écrit en vue d'être édité. - Je n'étais pas sûr d'être édité quand j'écrivais le manuscrit de mon premier roman, personne n'était là pour me dire qu'il allait vraiment être édité, j'aurais pu tout aussi bien écrire des poèmes pour mon plaisir personnel - je ne me suis jamais dit : j'écris pour le lecteur de Saint Germain des Prés. Le problème ne se pose pas en ces termes. Je savais que le public naturel des romans algériens, c'est-à-dire ancrés dans la réalité algérienne aurait dû être, était en principe le public algérien ; mais je savais en même temps que ce public algérien n'était pas nombreux.

Je dois dire aussi que pour moi se posait le problème de ma formation dont je ne pouvais pas être coupé. J'ai en effet reçu une formation classique, classique au sens le plus classique du terme, c'est-à-dire les humanités, la littérature, le grec et le latin, ce qui n'était pas pour un Algérien de cette époque une carrière «naturelle.» Je savais que parmi les Algériens qui allaient me lire, peu nombreux seraient ceux qui sauraient ce qu'est une togela. Dans une telle situation, on a un peu les pieds en fourchette entre un public qu'on aimerait avoir, le public algérien et le grand public qui pour des raisons concrètes ne pouvait pas être le public algérien.

D.A. — On assiste à une sorte de télescopage historique. Les romans que tu as écrits dans les années cinquante sont maintenant lus par les jeunes Algériens au moins en morceaux choisis. Quel effet cela te fait-il ?

M.M. — J'en suis tout à fait heureux... Je suis très heureux de les avoir écrits à ce moment-là et que maintenant les jeunes Algériens puissent tes lire. En quelque sorte ces romans retrouvent ou trouvent maintenant leur public naturel. Je comprends cependant qu'un lecteur de 1987 attende une autre écriture que celle que j'ai dû réaliser ou accepter en 1952. Le fait d'écrire un roman avant d'être sûr de le faire paraître pouvait biaiser l'écriture.

D.A. — Ton dernier roman. La Traversée, tu l'as écrit pour qui ?

M.M. — Ah ! Celui-là je l'ai écrit pour les Algériens... mais ce n'est pas vrai, il n'est pas écrit uniquement pour les Algériens... La concrétisation algérienne de mes romans, c'est la caution de réalité, d'authenticité, on ne parle bien que des choses que l'on connaît... J'aurais pu faire un roman sur les Chinois, mais comme je ne connais pas les Chinois...

D.A. — Tu as tout de même fait une pièce de théâtre sur les Aztèques[6] !

M.M. — Oui, c'est vrai, on pourra y revenir tout à l'heure... Dans La Traversée, à travers la situation concrète d'Algériens, je parle des problèmes humains, pas au sens péjoratif ringard mais au sens général de condition humaine. Je voulais que le public se rende compte que les problèmes qui se posent aux Algériens sont des problèmes qui se posent, qui peuvent se poser à n'importe quel homme au monde. Simplement ils se posent dans un cadre particulier à un moment déterminé, mais ce n'est pas une espèce de réserve indienne dont on ne sort pas... J'ai écrit La Traversée d'abord et principalement pour les Algériens, mais aussi pour tout le monde et je crois que les Algériens de La Traversée doivent intéresser quels que soient les qualités ou les défauts de l'écriture, n'importe quel lecteur, qu'il soit sud-américain, sud-africain ou indien... J'ai voulu révéler aux autres hommes les Algériens en tant qu'hommes.

D.A. — Un reproche t'a été fait à plusieurs reprises, notamment quand La Traversée est sortie : l'Algérie ne vit plus à l'heure des années cinquante, elle a ses propres maisons d'édition. Pourquoi Mammeri continue-t-il à publier à l'extérieur ?

M.M. — Bon... je peux donner deux raisons à cela. La première est d'ordre purement factuel. Quand on publie chez un éditeur, on signe un contrat qui vous engage pour plusieurs œuvres futures. Je suis encore dans ce cas. La seconde est plus fondamentale, quel que soit le jugement qu'on puisse porter dessus. Avant la parution de La Traversée, je n'ai pas écrit que des œuvres littéraires, j'ai écrit d'autres ouvrages. Non seulement ces derniers n'étaient pas diffusés à grande échelle en Algérie, mais soit on les refusait entièrement, soit on en diffusait quelques exemplaires pour ne pas dire qu'on les interdisait... Alors quand j'ai vu ça... je me suis dit : ce n'est pas la peine. La Traversée à plus forte raison ne passera pas.

 

 

 



 

D.A. — II y a un paradoxe Mammeri. D'un côté tu n'as jamais édité de livre en Algérie et tu te plains de l'ostracisme officiel à l'égard de tes ouvrages publiés à l'étranger, de l'autre, tu as pendant de longues années dirigé à Alger une structure de recherche, le CRAPE[7] et tu étais le responsable d'une revue, Libyca, qui avait une grande audience en Algérie et à l'étranger. Comment expliques-tu ce paradoxe ?

M.M. — Effectivement, j'ai dirigé le CRAPE pendant dix ans ainsi que Lybica qui est une revue internationale. L'impact de ce que je pouvais dire, de ce qui pouvait être dit dans Libyca ou de ce qui pouvait être réalisé dans le cadre du CRAPE était par définition limité. Il ne concernait qu'un public scientifique restreint. Quant à mes ouvrages, ceux qui prennent la décision d'importer les livres ont considéré à tort ou à raison qu'ils concernaient le grand public et leur attitude a été différente. Je n'ose pas dire qu'ils étaient contre leur diffusion, ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont rien fait pour la promouvoir, qu'il s'agisse de mes œuvres littéraires ou de mes ouvrages anthropologiques.

D.A. — On assiste à un processus de réintériorisation d'une partie de la production littéraire publiée initialement à l'étranger qui devient ainsi disponible en Algérie pour son public naturel. Nedjma de Kateb Yacine a été rééditée par VENAL[8] sur la base du rachat des droits. Laphomic 3 a fait de même pour les romans de Rachid Mimouni. En ce qui te concerne, la situation est différente...

M.M. — Oui, je ne peux faire qu'une chose : émettre le souhait que la même chose soit faite pour mes œuvres littéraires ou scientifiques 4.

D.A. — Tes éditeurs seraient d'accord ?

M.M. — Je suis sûr qu'ils seraient d'accord à condition évidemment qu'on leur en fasse la demande.

D.A. — Apparemment, cette demande n'a jamais été faite...

M.M. — Je ne crois pas.

D.A. — L'as-tu demandé à l'ENAL ?

M.M. — M'appartient-il de demander à l'ENAL une chose pareille ? Je crois me souvenir qu'il y a eu dans le temps des tentatives de ce genre entre mon éditeur de romans et la SNED[9]... Pour des raisons qui m'échappent, ça n'a pas marché... sauf pour une édition de poche des romans qui étaient au programme de l'enseignement et s'adressait au public scolaire.

D.A. — C'est un achat de livres ?

M.M. — Oui, ça n'a pas été réalisé en Algérie... ce n'est même pas une coédition.

D.A. — On arrive là au second paradoxe Mammeri : le texte du roman L'Opium et le bâton[10] est introuvable dans les librairies algériennes alors que le film qui a le même titre a un grand succès en Algérie.

M.M. — Comme tu dis, c'est un de ces paradoxes contre lesquels je bute et face auxquels je suis complètement démuni.

D.A. — Tu ne butes pas seulement. Finalement tu fais «avec» au sens positif du terme. Tu as contribué à la réalisation de ce film. Comment arrives-tu à comprendre que l'argent a été débloqué pour faire le film alors que la petite quantité de dinars nécessaires à la réédition du livre ne l'a pas été ?

M.M. — Moi je dirais... pour le film on savait ce qu'il devait être, ce n'était pas L'Opium et le bâton tel que je l'ai écrit, c'est tout à fait normal - un film ne peut pas être la copie exacte d'un roman -, mais on avait l'impression à tort ou à raison qu'on contrôlait le résultat, alors que le roman c'est moi qui l'ai écrit et il est ce qu'il est. Une chose a gêné et gêne toujours dans ce roman : il y a des personnages berbères, il y a des dialogues berbères, il y a un long épisode qui se passe au Maroc qui est en effet berbérophone. Un détail amusant : on a demandé que L'Opium et le bâton soit réédité parce qu'on en avait besoin pour les écoles. Tout à la fin du roman, un des personnages écrit dans une lettre : «C'est en berbère que je voudrais t'écrire.» Dans le texte de la réédition, cela a donné la chose suivante, je ne sais pas si c'est voulu ou non : «C’est en berbère que j'aurais voulu t'écrire.» Admettons que ce soit simplement une coquille... en tout cas, dans le film, ils gomment entièrement tous les éléments qui peuvent évoquer cet aspect berbère.

D.A. — Nous voilà au troisième paradoxe Mammeri tu es taxé de «berbérité», parfois diffamé ou attaqué violemment dans la presse. En même temps, tu es le seul écrivain de ta génération à n'avoir jamais quitté le territoire national... Certains te qualifient quasiment d'opposant et en même temps tu as toujours été un intellectuel travaillant au pays. Tu as même accepté d'avoir un rôle institutionnel en tant que Directeur du CRAPE. Peux-tu clarifier tout cela ?

M.M. — J'ai une explication personnelle et je crois qu'elle est fondée. Quand on me traite de «berbériste» je suis d'accord si l'on donne à ce terme le sens de quelqu'un qui veut récupérer une réalité algérienne linguistique et culturelle qui s'appelle le berbère et qui veut lui donner le développement le plus grand. Je considère que l'Algérie se fait avec des Algériens en chair et en os, pas avec des Algériens abstraits. On peut définir l'Algérie abstraitement mais, à mon avis, c'est une mauvaise méthode sur le plan scientifique ou politique. Il faut définir l'Algérie réellement et je considère que la berbérité est une dimension absolument fondamentale de l'Algérien mais ce n'est pas un ghetto. Quand je travaille à la berbérité, c'est à l'algérianité que je travaille, à quelque chose de tout à fait fondamental dans l'algérianité. Je considère que ceux qui ont fait dans la presse une interprétation erronée de ma démarche sont eux, anti-algériens. Ma façon de vivre ma berbérité est à mon avis la façon la plus profonde, la plus authentique, la plus réelle de vivre mon algérianité... Jamais dans mon esprit il n'y a eu d'opposition entre les deux choses : je suis berbère et algérien jusqu'au bout et je considère que les deux choses vont très bien ensemble.

D.A. — A la limite, comme tous les Algériens ?

M.M. — Oui. L'Algérien peut parler arabe ou français mais la berbérité fait partie de son identité, il faut qu'il la revendique exactement comme moi.

D.A. — Alors, de manière un peu provocatrice, tu n'avances pas quelque chose de très différent de ce qu'a dit le président Chadli en 1983.

M.M. — Bon...

D.A. — Dans le rapport présenté au comité central du FLN, il disait : «Je suis un Algérien qui a été islamisé et arabisé»...

M.M. — J'ai en effet lu cette formule qui correspond pour moi à la réalité et avec laquelle je suis entièrement d'accord. J'ajouterai cependant qu'après une telle déclaration du magistrat suprême du pays, il faut en tirer les conséquences sur le plan de la pratique, sur le plan de la politique culturelle ou de la politique tout court. Il y a eu une prise de conscience supplémentaire, si j'ose dire, à partir d'une certaine date l... Mais je disais que cette prise de conscience est un préliminaire, un tremplin : il faut aller plus loin et tirer les conséquences pratiques de cette prise de conscience.

D.A. — Effectivement, la question principale n'est plus un problème de discours politique. Pendant une longue période, il y a eu un discours arabiste qui gommait la spécificité maghrébine berbère. Entre 1983 et 1986, ce discours a subi des modifications profondes. Comment traduire ce discours qui est maintenant presque un discours consensuel en pratiques sociales concrètes ? Quels sont les axes de travail prioritaires ? Comment faire pour se réapproprier le patrimoine berbère et en faire le patrimoine de tous les Algériens ?

M.M. — Je pense qu'il y a à la base un problème de volonté politique, il faut le dire... c'est un problème de projet politique. Il y a quelque chose qui n'est pas tout à fait au point... Dans ces conditions, parler des mesures concrètes...

D.A. — Les axes de travail. Que faut-il faire, qu'est-ce qui est fait ? Je suis très frappé par la «nationalisation» de la chanson kabyle. Quel est l'Algérien qui ignore Idir, Ait Menguellet, le groupe Djurdjura !

M.M. — Bon, c'est très bien, c'est un exemple presque privilégié et qui ne répond que très partiellement à la question que tu avais posée auparavant. La chanson a été promue par les Algériens, elle a émané de la base, elle n'est pas l'expression d'un projet politique national mais de la création de la société sur le tas. De la société peuvent émaner certaines choses mais tu sais très bien que cela ne peut pas suffire. Il ne peut pas exister une véritable recherche sur la société et sur la culture berbères sans moyens matériels...Moi j'estime tout à fait nécessaire et pas seulement souhaitable qu'il y ait une expression de cette culture tout à fait algérienne dans tous les domaines ; le film, l'édition, les journaux...

D.A. — Je te fais part du sentiment d'insatisfaction que j'ai ressenti en lisant ta Grammaire berbère. Je me suis demandé pourquoi tu ne l'avais pas proposée à l'ENAL.

M.M. — Ah !

D.A. — Pour voir s'ils acceptaient de l'éditer.

 


3. Maison d'édition privée.

4. Depuis sa mort, son espoir s'est partiellement réalisé.

1. A ce moment, Mouloud Mammeri m'a demandé d'arrêter le magnétophone. Le lecteur averti aura compris qu'il s'agit du «printemps culturel berbère» de 1980, dont l'élément déclenchant a été l'interdiction par le wali de Tizi-Ouzou d'une conférence que Mouloud Mammeri devait prononcer au centre universitaire et dont le thème était : «La poésie kabyle ancienne».

 

M.M. — Oui, je suis d'accord avec toi. Mais ce serait le seul intérêt. J'ai déjà eu l'expérience de deux propositions d'édition de poèmes oraux qui n'ont rien de subversif que j'avais faites à la SNED. En gros, on m'a dit :-ce n'est pas la peine... S'il y a ce genre de barrage, à quoi bon continuer à proposer des textes. Je reconnais qu'éditer en France avec les moyens du bord, de manière très artisanale, n'est peut-être pas la meilleure formule. C'est en Algérie que j'aurais aimé publier ce livre. Il n'est pas exclu qu'on en fasse une réédition. J'en serais très heureux, cela me permettrait de corriger quelques erreurs. J'aimerais que l’ENAL l'édite.

D.A. — Mais l'ENAL ne peut pas l'éditer si tu ne lui remets pas le manuscrit.

M.M. — C'est exact. Bon, c'est une expérience que je vais faire.

D.A. — D'autres textes sont quasiment absents du marché, je pense en particulier aux Poèmes de Si Mohand...[11]

M.M. — Oui, c'est scandaleux.

D.A. — As-tu demandé sa réédition en Algérie ?

M.M. — Cet ouvrage n'a été importé qu'au compte-goutte. Cela signifie qu'on ne tient pas à ce qu'il soit largement diffusé et a fortiori à le rééditer. Pourtant c'est un succès de libraire.

D.A. — C'est aussi un des ouvrages les plus importants au niveau de la réappropriation du patrimoine culturel algérien. A vrai dire, je ne comprends pas ton attitude. Pourquoi n'as-tu pas tout simplement demandé à l'ENAL de racheter les droits.

M.M. — C'est vrai, je ne l'ai jamais demandé.

D.A. — Pourquoi ne demandes-tu jamais rien ?

M.M. — A cause de mon expérience. Maspero est venu en Algérie pour négocier la vente des Poèmes de Si Mohand. En fait, on en a fait venir seulement quelques centaines d'exemplaires, juste pour ne pas dire qu'il était interdit. Après des expériences pareilles, je n'éprouve pas grand enthousiasme pour aller demander quelque chose à l'ENAL, Ceci dit, je trouve l'idée très bonne, et si l'ENAL veut rééditer ce livre j'en serais très heureux car je considère que c'est un livre fondamentalement algérien et pas seulement pour les berbérophones qui peuvent lire la langue, mais pour tous les Algériens. Si l'ENAL le veut, je me fais fort d'aller trouver Maspero, de faire tout ce qu'il faut et je suis sûr que Maspero acceptera.

D.A. — Notre discussion factuelle pose un problème plus profond que tu as d'ailleurs commencé à aborder. Pourquoi les écrivains qui ont longtemps fonctionné dans le système institutionnel algérien semblent incapables de prendre de nouvelles initiatives dans les structures algériennes ? Kateb Yacine par exemple a une attitude similaire à la tienne. Il m'a dit récemment : «Quand on me ferme la porte je ne cherche pas à rentrer par la fenêtre.» Or vous n'êtes pas des intellectuels exilés, vous travaillez dans le système institutionnel, vous continuez à écrire en tant qu'intellectuels indépendants mais vous ne prenez pas d'initiatives vigoureuses pour être édités en Algérie et toucher ainsi votre public naturel. Il y a là quelque chose qui me choque.

M.M. — J'espère que c'est une fausse question que tu me poses. Il suffit de voir comment les problèmes se posent pour tout ce qui est dans ma mouvance. Dans le domaine de l'édition et des médias, nombreux sont les gens qui par analphabétisme culturel estiment que la berbérité ne fait pas partie de la culture algérienne. Cela peut aller très loin, jusqu'à la diffamation. Au début des années quatre-vingt, un journal algérien\ a publié des horreurs me concernant qui n'avaient aucune espèce d'intérêt II m'attribuait une phrase que je n'avais jamais écrite. J'ai d'abord écrit au journal une lettre dans laquelle je leur disais qu'ils avaient commis une erreur et les priais de bien vouloir faire paraître dans un numéro ultérieur un rectificatif. Le journal ne me répond pas et ne fait pas paraître ma mise au point... J'ai demandé à voir le ministre 2, puisque c'est de lui que le journal dépendait... et malgré cela le ministre n'a pas fait paraître le rectificatif dans le journal. C’est une diffamation.

D.A. — Peux-tu être plus précis ? Que disait-on exactement sur toi ?

M.M. — Le journal affirmait que pendant la guerre de libération j'avais écrit un papier dans lequel j'avais traité les maquisards de l'ALN de «chacals de l'Aurès.» C'est affolant enfin... c'est aberrant ! Il m'attribuait aussi d'autres choses de ce goût-là... à peu près de ce niveau-là. Tout l'article était comme ça, par insinuations... Il avait l'air de dire que pendant la guerre de libération... tout juste si je n'avais pas été un traitre.

D.A. — Quel a été ton itinéraire pendant la guerre de libération ?

M.M. — J'ai fait ce que je pouvais faire en tant qu'écrivain algérien. Je n'ai pas tenu de mitraillette parce que ce n'était pas mon rôle. J'ai fait paraître des lettres, des articles, j'ai fait parvenir à notre délégation à l'ONU au moment où la question algérienne venait en discussion comme on disait à l'époque, des rapports sur la situation en Algérie. J'ai créé aussi, avant mon départ d'Alger, fin 1957, un mouvement de libéraux regroupant des Algériens et je ne sais pas si le terme convient, des Européens, qui avaient un organe qui s'appelait Espoir Algérie. Au début, avant que je ne quitte l'Algérie, c'est moi qui faisais l'éditorial, et je le signais d'un pseudonyme. Les gens de L'Echo d'Alger ont fait paraître à ce moment-là des articles à eux et signés du même pseudonyme que le mien. Alors le journaliste qui a écrit cet article me diffamant, on a dû lui dire que c'était la même personne qui écrivait dans Espoir Algérie et dans L'Echo d'Alger... L'ennui, c'est que ce n'était pas moi qui écrivais... c'était peut-être mon nom de plume mais ce n'était pas moi. Le journaliste aurait pu s'excuser, dire qu'il avait été un peu rapide, léger... mais il n'a pas voulu le faire... C'était vraiment une diffamation parce que ce journal... c'est un quotidien lu dans l'Algérie tout entière.

D.A. — Merci pour ces précisions. Je pense que cela méritait d'être dit et nous introduit au quatrième paradoxe Mammeri ; tu es un homme public, mais tu es un homme extrêmement discret, on ne te lit quasiment jamais dans la presse, tu ne

 

1. Le quotidien El Moudjahid. en date du 20 mars 1980.

2. M. Abdelhamid Mehri.

 

t'exprimes publiquement que très rarement. Pourtant tes silences et tes paroles comptent... plus tes silences que tes paroles d'ailleurs. Si tu avais voulu foncer dans les médias algériens penses-tu que tu aurais pu, comme Kateb Yacine l'a fait au cours de ces dernières années, acquérir une audience médiatique?

M.M. — Non, je ne l'aurais pas eue... certainement pas. Quelques expériences le montrent bien. Quand La Traversée a paru, la moindre des choses aurait été d'en parler en bien ou en mal, qu'importe. Or je sais que des journalistes ou des critiques littéraires ont écrit des papiers sur La Traversée. Ils les ont proposés à des journaux algériens très connus qui les ont refusés.

D.A. — Par exemple ?

M.M. — Algérie Actualité. Je ne savais pas ce qu'il y avait dans ces papiers... mais qu'importe... ils ont été refusés uniquement parce qu'ils parlaient d'un livre que moi j'avais écrit. A plus forte raison si c'est moi qui écris quelque chose, je suis à peu près certain que ça ne passera pas sauf si j'écris sur la pluie et le beau temps, sur les pâquerettes : ça c'est possible! Je peux d'ailleurs citer d'autres exemples. J'ai écrit une pièce de théâtre qui s'appelle Le Banquet, dont le sujet est la perte de l'indépendance des Aztèques... On n'en parie pas... ça veut dire quelque chose.

D.A. — Sur Le Banquet il y a eu des articles de presse...

M.M. — Oui juste pour dire pourquoi Mammmeri ne parle-t-il pas plutôt des Touaregs que des Aztèques.

D.A. — Je me souviens de ce petit papier méchant à ton égard, mais relativement intéressant sur le fond. Pourquoi avoir fait une pièce sur tes Aztèques?... ce n'est pas de l'exotisme gratuit.

M.M. — Certainement pas.

D.A. — C'est même un peu codé.

M.M. — Oui, c'est très codé... Mais revenons à ce que nous disions au départ sur les médias. J'ai fait une pièce dont le thème est les Aztèques, mais je considère que le problème traité dans Le Banquet est un problème universel. Si j'avais été journaliste, j'aurais été content qu'un Algérien fasse une telle pièce, traite un sujet qui peut concerner l'Afrique, l'Asie, l'Amérique des Indiens. Je dois dire que je n'ai pas écrit cette pièce par hasard. Je l'ai écrite parce que je suis Algérien dans une certaine situation et que ce problème d'individus ou de groupes qui sont agressés et à la limite disparaissent me concerne directement. Je considère que j'étais mieux placé que quiconque en tant qu'Algérien et que Berbère pour en parler, mais le sujet est quand même universel.

D.A. — On arrive là au cinquième paradoxe Mammeri. Tes détracteurs te reprochent en même temps une sorte de nombrilisme berbère et une trop grande intégration dans la culture mondiale.

M.M. — Absolument... c'est vrai... Mais je crois que l'erreur ne vient pas de mon fait, mais de celui de mes détracteurs. Le grand reproche qu'on me fait, c'est ma berbérité ou non berbérisme. Non seulement je l'admets, mais je l'assume entièrement... Mais dans te même temps je dis que cette berbérité est justement un moyen privilégié pour accéder à l'universalité. Je ne la conçois pas du tout comme une espèce de ghetto culturel ou linguistique. Des écrivains berbères ont écrit en latin et sont des écrivains universels... Saint Augustin, Tertullien, et le même phénomène a continué dans l'histoire et continue jusqu'à présent. Ma berbérité, c'est mon authenticité mais que je ne définis pas du tout de manière ghettoïsée, comme certains justement me le reprochent et voudraient me le faire admettre.

D.A. — Dans cette perspective, en quels termes poses-tu le rapport entre la berbérité et l'arabité culturelle ?

M.M. — Je dis que non seulement il n'y a pas contradiction entre les deux mais qu'au contraire, quelqu'un qui revendique l'arabité culturelle devrait soutenir avec enthousiasme la revendication de la berbérité culturelle car on ne peut pas revendiquer une identité culturelle pour soi et la refuser au copain qui est à côté. Le problème naît en fait à partir du moment où on définit une identité culturelle par opposition aux autres, disons, d'une manière conflictuelle. Je dis que c'est une mauvaise définition. Moi je conçois les cultures comme complémentaires et enrichissantes les unes par rapport aux autres. Je suis tout à fait d'accord pour qu'en Algérie un arabophone revendique sa culture arabe et je la considère comme mienne mais je dis que lui doit considérer ma berbérité culturelle comme étant la sienne.

D.A. — Ce que tu viens de dire est très intéressant mais pose un problème... le grand problème de ce que l'on appelle la culture nationale.

M.M. — Je pense que les Européens et les Français en particulier nous ont rendu un très mauvais service sur ce terrain. Il s'est développé en Europe, en particulier après la Révolution française, une conception jacobine et unitaire qui, à mon avis, fait des ravages. Il faut dire les choses comme elles sont. Le processus a commencé avec Louis XIV, a continué avec Napoléon puis avec la République une et indivisible, enfin avec le Reich Allemand. Les Européens ont répandu dans le Tiers Monde, pas seulement à l'Algérie- qu'ils l'aient voulu ou non, ça c'est une autre question- cette conception de la nation et de l'unité nationale. Si l'on prend comme référence notre propre civilisation islamique, nous n'avons jamais eu dans le passé cette conception de la nation. Les empires omeyyades et abbassides étaient des Etats multiculturels, ce qui ne gênait personne et n'empêchait pas les gens de se percevoir comme appartenant à un grand ensemble qui était l'Oumma islamique. Il en est de même aujourd'hui dans des pays comme l'URSS où le sentiment d'appartenir à l'ensemble soviétique n'empêche pas de se sentir Arménien, Tadjik. Je pourrais dire la même chose de la Chine ou du Canada.

A une époque historique déterminée, une transformation s'est opérée dans la définition de la nation dont nous sommes victimes à présent, que nous le voulions ou non... Actuellement, les Algériens, les Tunisiens, les Marocains et d'autres au Moyen-Orient définissent la Nation en termes jacobins, en termes d'unité schématique.

D.A. — D'unité totale...

M.M. — Oui d'unité totale et alors on n'est pas très loin du totalitarisme.

D.A. — Ta critique de la notion de nation remet-elle en cause l'unité politique de l'Algérie ? Je te pose la question car elle sert parfois d'argument à tes détracteurs.

M.M. — L'unité politique de l'Algérie ?

D.A. — Oui l'Algérie, c'est 24 millions d'habitants, un Etat... Remets-tu cela en cause?

M.M. — Absolument pas!

D.A. — Alors... une république kabyle...

M.M. — Non, je ne la revendique pas. Je revendique l'unité de l'Algérie, mais je dis en même temps que les Kabyles, avec les autres bien sûr, forment la texture de l'unité nationale.

D.A. — Ceci dit, tu veux une expression culturelle multiforme ?

M.M. — Absolument, je suis d'accord avec ta formulation, une expression culturelle multiforme qui à mon sens sera un plus pour la culture algérienne.

D.A. — Certains universitaires et intellectuels algériens formés dans l'Algérie indépendante, et principalement arabophones même s'ils sont aussi berbérophones et francophones reprochent à la réappropriation de la langue et de la culture berbères de se faire en utilisant la transcription latine et non arabe. Tu es bien entendu mis sur la sellette. Pourquoi, disent-ils, Mammeri a-t-il transcrit les Isefra de Si Mohand en caractères latins alors que ce dernier le faisait en caractères arabes ? Le fond du problème posé par ces jeunes universitaires qui reconnaissent l'importance de ton travail consiste dans l'affirmation de la nécessité de casser le rapport du berbère à la francité.

M.M. — Je répondrai la chose suivante : Premièrement, je crois que c'est un mauvais argument ; par ailleurs, s'il y a un rapport vraiment privilégié, (moi je ne crois pas qu'il le soit), il tient à des questions objectives qu'il faut étudier. Enfin si quelqu'un veut transcrire le berbère avec les caractères arabes, pourquoi pas ?

D.A. — Les choses ne sont pas si simples. La revendication des arabophones ouverts sur la culture berbère est de revenir au système ancien de transcription du berbère avec les caractères arabes. Autrement, disent-ils, tous ceux qui font des travaux sur le terrain de la culture populaire berbère divisent la société, divisent le monde culturel parce que sans arrêt ils nous renvoient à la France.

M.M. — Alors là, je dirais que c'est un procès d'intention. Moi, je crois que c'est un mauvais argument L'essentiel, à mon avis est de reconnaître que cette culture berbère premièrement existe et deuxièmement est à cent pour cent algérienne. Ensuite, pour ce qui est de ses modes d'expression, c'est un problème pratique qu'on peut étudier et auquel on peut trouver des solutions en fonction de l'environnement. Mais il faut d'abord reconnaître la culture berbère. En effet on a toujours l'impression que ceux qui sortent cet argument le font d'abord contre la culture berbère. Que l'on définisse les rapports entre les cultures arabe et berbère, d'accord, mais au fond il ne s'agit pas vraiment de rapports mais d'un soubassement identique qui s'exprime de manière diverse.

Si à l'heure actuelle la plupart des textes berbères sortent en transcription latine, c'est pour des raisons purement pratiques. Comment veux-tu que quelqu'un qui est incapable d'écrire une phrase en arabe puisse s'exprimer autrement que dans les langues qu'il connaît. Maintenant, si les nouvelles générations sont arabisées et peuvent réaliser les transcriptions en arabe, pourquoi pas. D faut cependant souligner que tes gens réalisent d'abord leur culture en berbère. Ensuite, qu'elle soit transcrite en français ou en arabe, c'est une affaire circonstancielle. La culture berbère ne doit pas être amarrée à une culture arabe ou française, mais à la culture algérienne ou, disons, maghrébine.

D.A. — Donc pas de conflit avec la langue et la culture arabe ?

M.M. — Pour moi, il n'y en a pas.

D.A. — Donc, enrichissement réciproque ?

M.M. — Je crois qu'il faut vraiment insister là-dessus. Ce que je vais dire est un peu universitaire et scientifique, mais il faut le dire parce que c'est vrai. L'arabe algérien est une langue qui, structurellement. est du berbère habillé avec des mots arabes. C'est vraiment un habit Les gens qui parlent arabe actuellement sont des Berbères qui sont historiquement arabisés. Je pourrais citer des tas d'exemples pour fonder cette approche. C'est pour cela qu'entre l'expression maghrébine arabophone et l'expression maghrébine berbérophone, il y a des confluences extraordinaires. Dans le prochain numéro d'AwaI, nous publions un poème en arabe parlé oranais. C'est un poème qui a été écrit par un exilé politique au XIXe siècle et il y a des poèmes semblables en berbère. Les confluences sont telles... on sent que c'est la même façon de présenter les choses et de les dire. Donc, nous; entre arabité et berbérité, ce que nous voyons surtout, c'est cet aspect d'enrichissement mutuel et pas du tout un quelconque antagonisme.

D.A. — En définitive, tu ne te reconnais pas dans la division berbérophones-arabophones!

M.M. — Je ne crois pas qu'il y ait division. En tout cas, il y a une perspective à adopter : ce sont deux modes d'expression dont il faut voir l'enrichissement réciproque et non pas les considérer en termes antagonistes parce que l'antagonisme n'existe pas. C'est une invention à mon avis politique et très circonstancielle qu'il faut refuser. Ça c'est mon opinion personnelle.

D.A. — Revenons si tu veux bien à la littérature. Dans les années soixante, presque tout le monde pensait que la littérature algérienne de langue française allait disparaître. En réalité, elle s'est développée à un rythme rapide. Lis-tu les œuvres des jeunes écrivains algériens ?

M.M. — J'en ai lu quelques-unes.

D.A. — Plus de 500 titres sont sortis depuis l'indépendance : des romans, des nouvelles, de la poésie, un peu de théâtre. Pour toi, quel sens a cette importante mutation sur le plan quantitatif ?

M.M. — Le phénomène est un peu étonnant à première vue. Elle existe, c'est déjà un phénomène important. D'autre part, tu avances le chiffre de 500 titres. C'est beaucoup, et il est normal que dans le tas il y ait plusieurs voix. Je nuancerais donc ma réponse à ta question. Il me semble qu'il s'est dégagé - c'est naturel, on a vu la même chose dans d'autres pays - après l'indépendance, une espèce de «convention littéraire», je n'ose pas trop avancer dans cette direction mais je crois que c'est vrai, qui définit des sujets «obligés» ou du moins «privilégiés». Je pense par exemple à la guerre nationale. Un certain nombre d'écrivains ont pu être tentés par cette formule-là.

D.A. — Le réalisme national ?

M.M. — Oui, mais je me demande dans quelle mesure il est vraiment «réaliste». Ce genre d'oeuvres va-t-il dans le sens de ce que nous disions au début de notre entretien, c'est-à-dire la libération ? Par le sujel, c'est évident, mais personnellement j'ajouterais que la meilleure façon de travaiîîer à ce projet de libération, c'est de le considérer non plus dans un passé qui devient de plus en plus mythique mais de l'envisager dans la réalité actuelle. L'ouvre de libération, ce n'est pas un moment ponctuel, une chose qui s'est passée entre 1954 et 1962. C'est un processus évolutif ininterrompu.

D.A. — D'une manière générale, es-tu reconnu par les jeunes écrivains. T'envoient-ils leurs textes ?

M.M. — Oui, mais ce n'est pas significatif. J'en reçois un certain nombre...

D.A. — Connais-tu les jeunes auteurs qui ont publié. Discutes-tu avec eux ?

M.M. — Non, absolument pas. Cela ne se passe pas comme tu dis. J'en ai connu deux ou trois.

D.A. — Je pense à Boudjedra, Mimouni...

M.M. — Non. Je connais un peu Mimouni, Boudjedra je le connais à peine.

D.A. — II n'y a pas de lien entre l'ancienne génération d'écrivains et la nouvelle ? C'est assez étrange.

M.M. — Non, à quoi bon ? moi j'avoue que cela ne me frappe pas, ne me g&ne pas. Si ces liens existaient, ne serait-ce pas la reconnaissance d'une espèce de patronage ?

D.A. — Non, pas nécessairement, ça pourrait prendre la forme d'un dialogue. Mais apparemment il n'existe pas.

M.M. — Pour un dialogue, il faut des moyens, des conditions... sauf sur un plan strictement personnel.

D.A. — II y a les rapports institutionnels par le biais notamment de l'Union des écrivains dont je crois tu n'es plus adhérent Peut-on savoir pourquoi ?

M.M. — Oh ! je ne sais pas... J'ai été président de cette Union tout à fait au début... Je ne peux pas répondre à cette question.

D.A. — Alors, faisons le point sur tes initiatives récentes en matière de recherche et de publications.

M.M. — Depuis cinq ans nous avons monté à Paris un groupe de recherche informel sur la berbérité au sens large : le CERAM (Centre d'études et de recherches Amazigh). Nous publions une revue, Awai, que tu as dû voir.

D.A. — Nous en faisons régulièrement des comptes rendus dans Actualité de l'émigration.

M.M. — Oui, j'ai vu. Toi tu fais des comptes rendus dans ton journal, mais j'aurais aimé que la même chose soit faite dans les autres organes de la presse algérienne. De plus, en réalité, ce centre de recherche et la revue auraient dû être créés à Alger qui est leur lieu naturel. J'aimerais que Awai paraisse à Alger pour qu'elle soit à la disposition de tous les Algériens.

D.A. — Awai n'est pas une revue de vulgarisation...

M.M. — Non c'est une revue scientifique, quelquefois très spécialisée, mais peu importe, son champ d'analyse est la réalité algérienne.

D.A. — As-tu proposé à l'OPU[12] de prendre en charge l'édition d'Awa/ ? L'OPU a une attitude très ouverte en matière de publication. Il vient de publier en collaboration avec la Maison des sciences de l'homme un ouvrage de photos concernant l'Aurès vu par Rivière 2.

M.M. — II n'est pas exclu que l'on fasse la demande maintenant. Il est exact que je ne l'ai pas faite jusqu'à présent mais j'ai déjà subi une expérience qui a refroidi mes ardeurs. J'ai proposé un livre dans le même domaine qui apporte une documentation inédite traitée de manière scientifique, mais je dois dire que je n'ai jamais pu faire passer ce manuscrit.

D.A. — A l'OPU ?

M.M. — Oui

D.A. — Le manuscrit portait sur quoi ?

M.M. — Sur la litérature orale d'un poète très populaire, un peu prophète, un saint de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il s'appelle Cheikh Mohand.

D.A. — Tu as déposé le manuscrit ?

M.M. — Non, je ne l'ai pas déposé. J'en ai simplement parlé et on ne m'a pas beaucoup encouragé à le faire.

D.A.—On ne t'a pas dit non?...

M.M. — Non, on a éludé, c'est comme si la chose ne devait jamais se faire. Mais qu'importe... le passé est le passé. Moi, j'aimerais que Awai paraisse en Algérie, à l'OPU ou ailleurs.

D.A. — Tu vas demander à l'OPU de le faire ?

M.M. — Je vais le demander.

D.A. — Nous allons terminer cet entretien sur un dernier paradoxe Mammeri. On te présente souvent comme un intellectuel «extérieur» à la société algérienne alors que tu es l'un des seuls de ta génération à avoir résidé et travaillé de manière régulière en Algérie. Beaucoup de choses ont changé dans notre pays entre les années cinquante et les années quatre-vingt Comment te sens-tu-dans l'Algérie d'aujourd'hui ?

M.M. — Je me sens entièrement dedans, sans aucune réserve. Je n'ai jamais quitté ce pays parce que je me considère comme étant entièrement partie prenante de la réalité algérienne. Outre mes romans et mes travaux de recherche, je suis intervenu dans des domaines culturels assez divers : J'ai fait jouer une pièce de théâtre dans différentes villes d'Algérie. Dans le domaine du cinéma, outre ma participation à l'élaboration de L'Opium et le bâton, j'ai fait d'autres films documentaires ou historiques dans te champ de la littérature orale et de l'anthropologie. Par conséquent, moi, personnellement, je n'ai pas de problèmes. Certains disent : «Q s'exprime en français.» C'est vrai, je ne cache pas les choses, le français est une langue et une culture que j'aime beaucoup et que j'ai intériorisés pour diverses raisons. Je me sens d'autant plus à l'aise pour dire ça que je revendique entièrement mon algérianité et que je n'ai jamais quitté ce pays, culturellement, physiquement et même institutionnellement.

 

2. Aures 1 Algérie 1935 -1936 : Photographie» de Thérèse Rivière, wrivi de Elle a passé tant d'heures... par Faimy Colon». OPU. Alger, Edition de la MSH, Pari». 1987,214 p.

 

DA. — Toi tu n'es peut-être pas frustré, mais ton public l'est Ta production n'est pas disponible en Algérie.

M.M. — Là, la situation ne dépend plus de moi.

D.A. — A quand ton prochain livre déposé à l'ENAL ou à l'OPU ?

M.M. — Très bientôt ! J'espère que la réponse sera positive. Je vais commencer par Awal tiens!

Entretien réalisé par Abdelkader Djeghloul, extrait de  « Awal , Cahier d’Etudes berbères » 1990,  Spécial  Hommage à Mouloud Mammeri, pages 79 à 97


 

     

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 Numéro 83 Mai 2016

  Le document :  

Mouloud Mammeri et ses élèves ! vers 1950 ?
Photo collection privée de Dda Mohamed
Moumouh Chami
Photo  très rare !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Numéro 83 Mai 2016

 

Tazmilt ɣef tira :

 AGGAƔEN :  akka i nelmed ɣer Dda-Lmulud, afensu-nneɣ :

 
_ t, d : d aggaɣen deffir l, n : 


tamellalt,  nutenti 
aldun, ildi ,ndekwal,  ndef

 

_ b : d aggaɣ deffir m :


tambult ambaṣi

 

_ g :d aggaɣ deffir b, j, r, ε , z :


inebgi ajgu 
argaz aεgaz
azgen zger



_ k : d aggaɣ deffir ḥ, f, c, ε, l, r, s :


aḥkim ayefki
ayeck-it εkes 
afilku arkas
skud

 

 

Ɛ. Mezdad

 

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Numéro 83 Mai 2016

Tidlisin nnien :

 

 

 

Les_Chants_du_Hoggar_de_Mohamed_Belaid.pdf

 

Etudes_berberes_et_Chamitosemitiques_Prasse.pdf

 

LE_CONTE_KABYLE_Camille_Lacoste.pdf

 

L'INSURRECTION_DE_1871.PDF

 

 

ESSAI_DE_GRAMMAIRE_TOUAREG_JM_Cortade.pdf

 

LANGUE_BERBERE_INITIATION_A_L'ECRITURE_2°_EDITION_1989.pdf

 

Le Djebel Nefoussa.PDF

 

TAMAWALT_USEGMI.pdf

 

EST-ELLE_POSSIBLE_UNE_STANDARDISATION _PROPREMENT_AMAZIGHE.pdf

 

 

Motylinski_Grammaire-Dictionnaire-Touareg-1908.pdf

 

RAM_Isefra n at zik.pdf

 

Amawal-Lexique-Des-Sciences-de-La-Terre-Yidir-AHMED-ZAYED.pdf

 

Amawal_Amatu_n_Tfizikt_Tatrart_tafransist-taqbaylit.pdf

 

DEVINETTES-BERBERES-1.pdf

DEVINETTES-BERBERES-2.pdf

  

LES_CAHIERS_DE_BELAID_OU_LA_KABYLIE_D'ANTAN.pdf

  

ESSAI_DE_GRAMMAIRE_TOUAREG_JM_Cortade.pdf

 

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 Numéro 83 Mai 2016

Le Poème : 

Mmuteɣ, ur mmuteɣ,

sɣur Sεid At Mεemmer

 

Mmuteɣ ur mmuteɣ                                Muqlet tideţ amek tella

Ulamek akk ara fateɣ                              Ur unageɣ ǧǧiɣ-ţ texla

Ḥesbet aggulen seɣtaɣ                    Ḥsut aderɣal  yes-i iwala

Eččet imyagen akk seftaɣ                        Eǧǧet ad d-tfeggeḍ tala

Nudaɣ  ufiɣ i wen-d-wwiɣ                       Nneqma ddiɣ deg-s i tmussni

D ayen yelhan kan i nwiɣ                        D inigi ula d igenni

Ur cuḥḥeɣ i izaylalen lwiɣ                       Ulac tizilţ ur awen-d necni

Yak s tafat i s i kken-in-ḍwiɣ                  Yiwen wass tideţ ad awen-d-tini

Elset nnwaḍer i wen-id-uqmeɣ                «Err kečč ay aɣyul» inet-as

Ḥemmlet ayen akk ḥemmleɣ                  Ḥerzet-ţ wayeḍ anfet-as

Yyaw ɣur-i ad awen-d-mleɣ          Yakk i wen-d-ǧǧiɣ sellet-as

Aql-i yid-wen mlaleɣ                                Ata wudem teẓram alset-as

 

Sεid At Mεemmer

 

 

 

 

 

             

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  TIME \@ "dddd d MMMM yyyy" mercredi 30 mars 2016 

 


 


[1] Dictionnaire des symboles, p.941.

[2] http://www.u-grenoble3.fr/ouamara/fichiers/contekabyle.html

[3] Voir sur ce point Pierre Bourdieu, L’honneur kabyle,  Paris, 1972.

[4] LACOSTE-DUJARDIN, Camille, Le Conte Kabyle, Etude ethnologique, Editions Bouchène, Alger, 1991, p.211.

[5] Dictionnaire des symboles, Op. Cit.

[6] Emile Dermenghem, in : http--alger-roi_fr.mht : Légendes Kabylesb / la litterature populaire magrebine, contes, documents algériens, consulté le 01 août 2014.

[i] Editions Achab, 2014. Traduction du titre : La Guerre 1954-1962 dans la poésie féminine.

[ii] Mouloud Mammeri, « L’expérience vécue et l’expression littéraire en Algérie », dans Dérives n° 49, 1985, reproduit dans Culture savante, culture vécue, Ed. Tala, Alger, 1991.

[iii] Ibidem.

[iv] Les chars, l’avion, le fusil, l’hélicoptère, la mitrailleuse.

[v] Sergent, Lieutenant, capitaine.

[vi] Régiment, l’armée, les paras

[vii] Attaque, encerclement, bombardement.